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En corps libre ? - Page 23

  • Peggy Sastre encore

     


    Malades, anesthésiques, dissidents, les hommes et les femmes qui n’ont jamais envie de faire l’amour n’ont pas bonne presse. Comment osent-ils prétendre que le sexe ne les intéresse pas ?

    Dans un essai remarqué, No sex, avoir envie de ne pas faire l’amour, la philosophe et journaliste Peggy Sastre veut nous convaincre que les asexuels ne sont pas des ratés du sexe. Entretien.

    Entretien avec Peggy Sastre, auteur de "No sex"

     

    Terrafemina : En lisant votre livre dans le bus, je me suis faite dévisager plus d’une fois, le sujet des asexuels semble ne pas faire l’unanimité, pourquoi selon vous ?

    Peggy Sastre : Je pense que nous sommes arrivés à un moment où la sexualité est devenue un critère d'identification et de représentation très important : ce que je fais, ce que je ne fais pas, ce que j’aime ou n’aime pas a une valeur cruciale pour beaucoup… J’ai créé un groupe Facebook autour du livre, et certains de mes amis m’ont écrit pour me dire qu’ils n’osaient pas s’inscrire, de peur qu'on croie que... On m’a même soupçonnée d’être frigide, de nombreux journalistes me demandent si je suis moi-même asexuelle, comme si ça pouvait aider à comprendre que j'ai écrit un tel livre. C’est un sujet très mal traité, il y a eu il y a quelques années un mouvement médiatique autour de l’asexualité avec son lot de livres superficiels et racoleurs. Personne n’a eu l’idée de prendre en compte les personnes qui vivaient cette situation, on s’est contenté de les considérer comme des malades, des rebelles ou des victimes. Je propose un autre point de vue sur la question.


    TF : Qu’est-ce qu’un asexuel, est-ce une tendance marginale ?


    P. S. : On ne peut pas dire que l'asexualité soit un comportement marginal, puisque les études les plus fiables tablent sur 1% de la population française. Ce n’est pas négligeable, par comparaison le pourcentage d’homosexuels est estimé entre 4 et 7%.


    Un asexuel est une personne qui n’a pas d’intérêt pour le sexe, ni manque ni désir. Ils ont ou ont eu des relations sexuelles en général, mais cela ne leur fait « ni chaud ni froid » si j’ose dire…

    Ni un choix, ni un engament

     

    TF : Quelle différence avec l’abstinence ?

    P. S. : L’abstinence est un comportement réactif, c’est un choix conscient d’arrêter toute activité sexuelle par rapport à un projet. Quand on décide de rester chaste, il s’agit d’une abstinence  par rapport à un principe moral, mais cela ne veut pas dire qu’on n’ait jamais éprouvé de désir. L’asexualité n’est pas un choix, c’est une orientation sexuelle.

    TF : Il y aurait davantage de femmes asexuelles ; peut-on y voir un nouveau féminisme ?

    P.S. : Les études sérieuses sont encore balbutiantes, elles ne montrent que des tendances, c’est vrai que pour l’instant les chiffres donnent plus de femmes, mais de peu.

    Il n’est pas question de féminisme, c’est comme si on disait que l’homosexualité féminine relevait du féminisme. L’asexualité n’est pas un engagement.

    Une seule souffrance : l’incompréhension

     

    TF : Vous refusez de voir les asexuels comme des activistes réagissant à la pornographie envahissante de notre société, mais le groupe AVEN – Asexual Visibility and Education Network- fondé en 2001, ne ressemble-t-il pas à cela ?

    P. S. : Non, car le groupe AVEN ne combat pas la pornographie, il lutte contre la mauvaise appréciation de l’asexualité.

    Ils défendent en fait leur droit à la reconnaissance et veulent que l’asexualité soit retirée du manuel de diagnostic de santé mentale (DSM), la référence en matière de psychiatrie.

    Le mouvement d’émancipation homosexuel en 1973 est passé par la même bataille pour la « dé pathologisation » de leur orientation.


    TF : Naît-on asexuel ou le devient-on ?

    P. S. : Je pense qu’on naît asexuel, comme on naît homosexuel, bisexuel ou hétérosexuel. Beaucoup de gens imaginent que l’asexualité survient après un traumatisme comme le viol ou l’abus sexuel, mais je n’ai rencontré que très peu de personnes qui aient subi un tel traumatisme, une seule personne en vérité. Et son viol n'a pas « déclenché » son asexualité : elle était asexuelle avant, et a subi un rapport forcé de la part de son petit ami qui pensait qu'il allait ainsi la « soigner ». Je me refuse à penser que l'orientation sexuelle soit quelque chose de réactif, car cela voudrait dire que l'hétérosexualité est la norme. Pour moi l’hétérosexualité n’est pas la norme, ce n'est qu'une majorité statistique.

    Et l’homosexualité, la bisexualité et l’asexualité ne sont en rien des accidents de cette norme, mais des variations.

    TF : Après le Viagra, les scientifiques cherchent à tout prix à aider les femmes qui ne ressentent pas ou peu de désir sexuel. Comment distinguer la pathologie – dysfonction sexuelle féminine, baisse de désir- de l’asexualité telle que vous la décrivez ?

    P. S. : Les gens qui souffrent d’une faiblesse de libido ont le droit de se faire aider. Mais ces pathologies ne sont pas encore clairement identifiées qu’on essaie déjà de trouver la pilule miracle… Les asexuels, eux, ne peuvent pas souffrir d’une baisse de libido puisqu’ils n’ont pas de libido !  

    Peggy Sastre, No sex, Avoir envie de ne pas faire l’amour, La Musardine, 13 Euros.

  • Les asexuels sont-ils de gros losers gluants ?

    Je viens de terminer le nouvel essai de Peggy Sastre : No sex – avoir envie de ne pas faire l’amour, dans lequel elle prend la défense des asexuels avec une douceur à laquelle je ne m’attendais pas.

    Ce livre vient poser à plat les maigres connaissances actuelles sur l’asexualité : des témoignages, des chiffres, et l’état des débats.L’auteure sépare bien les différents problèmes : il y a des gens chastes qui ont du désir mais choisissent de ne pas en tenir compte (comme les prêtres, en théorie), les abstinents qui ont du désir mais subissent un manque sexuel (parce que personne ne veut d’eux), et les asexuels qui n’ont pas de désir du tout (et qui pourraient représenter 1% de la population).

    On peut se dire : ces gens font bien ce qu’ils veulent, ça ne mange pas de pain et ils sont peut-être les meneurs d’une évolution de la normalité sexuelle comparable à celle menée par la communauté LGBT – une position tolérante défendue par Peggy Sastre.

    On peut aussi penser comme Agnès Giard que ce n’est pas tout à fait innocent de se définir par une absence, surtout quand il s’agit d’un sujet encore tabou, toujours complexe et hautement politique.

    Selon elle, les asexuels ressemblent à ces rappeurs qui hurlent qu’ils rejettent la société, alors que c’est précisément l’inverse, et qu’à la fin de toute façon ce n’est pas la société qui vit dans une barre HLM sans job et sans espoir. Bref, un gros tas de mauvaise foi. Elle rappelle que la sexualité est aussi faite de potentialités qui s’activent (je confirme), et que si on est flemmard, autant juste dire qu’on est flemmard au lieu de fonder un mouvement.

    Entre les deux mon cœur balance.

    Mais voilà. Parmi les besoins humains prétendument naturels auxquels nous sommes tous censés adhérer, il y a manger, dormir, faire l’amour, assurer sa sécurité, se reproduire.

    J’ai connu une personne qui n’aimait pas manger, qui ne trouvait pas ça intéressant. Et moi-même, je fais partie de ces femmes qui n’ont jamais eu envie de se reproduire, jamais une seule seconde.

    (Anecdote sur le délire en question : lors de ma première visite chez une gynéco, vers 15 ans, j’expliquais que je voulais des médicaments contre la douleur des règles. Elle m’a répondu que je n’en avais pas besoin puisque la douleur passerait avec ma première maternité, donc vers 25 ans. Authentique. Je précise que depuis, je n’ai connu aucun gynéco qui ne m’ait pas foutu la pression pour que j’enfante, à croire que j’ai des gènes méritant vraiment que l’humanité les conserve – auquel cas le don d’ovules me paraît assez indiqué.)

    Peut-être que je suis une loseuse de la maternité, mais en même temps, je ne suis pas une victime : à ma connaissance je ne suis pas stérile, et si je voulais, j’imagine que je trouverais quelqu’un pour m’aider à fonder une famille. La maternité ne me rejette pas. Alors peut-être que je n’ai pas activé l’instinct maternel auquel je ne crois pas. Peut-être que c’est une mode en plus d’être une pression sociale et que quand toutes mes copines s’y seront mises, j’aurai envie. Mais honnêtement, je pense avoir un Oreo au beurre de cacahuète à la place de la moindre minuscule velléité de me reproduire. Que ce soit génétique ou culturel, peu importe. Les femmes qui font cette absence de choix me paraissent équilibrées et zen. Tant qu’à faire, je voudrais leur ressembler.

    C’est pourquoi je suis bien obligée de croire qu’il y a des gens qui naissent asexuels comme certains paraissent (?) naître homosexuels ou mal dans leur genre.

    Peut-être qu’il faudrait se calmer sur les besoins naturels. Et sur la normalité.

    Ou alors, j’en fais une affaire personnelle : si ma maternité s’active, les asexuels sont des menteurs. Dans l’intervalle, je propose qu’on leur fiche la paix.

  • No sex tonight

     

    Non ma fille, je n’irai pas baiser !

    Belle gageure pour Peggy Sastre, féministe et hédoniste, que de frapper chez ceux que le sexe ennuie profondément. D’autant plus que son enquête sur les asexuels, ceux qui ne pratiquent pas la sexualité, soit toute personne qui "ne ressent jamais d’attirance sexuelle et/ou n’a qu’un intérêt très faible, voire inexistant pour la chose sexuelle (séduction, érotisme, sensualité)" , est menée de façon relativement neutre, sans a priori ni volonté de faire pencher le propos des interrogés vers une explication toute trouvée.

    Il n’est pas anodin, dans la société hypersexualisée qui est la nôtre, que des personnes découvrant leur "asexualité" ou leur orientation asexuelle (car l’asexualité semble ouvrir le chemin d’une 4ème voie du sexe, après les gays, les bi-, les trans-, celle du non-sexe) fassent leur "coming-out", c’est-à-dire qu’ils affirment, assument et rendent visible leur identité.

    Pas anodin non plus de se constituer en communauté à l’heure des réseaux sociaux et du net. Mais quid de l’asexualité ? Comment peut-on être asexuel ? Comment peut-on ne pas avoir envie de faire l’amour, de chercher l’excitation dans les bras et sous les doigts des autres, de baiser, de jouir, bref d’être (é-)mus par le sexe ?

    Peggy Sastre entame sa réflexion autour du désintérêt pour le sexe avec Tolstoï et La Sonate à Kreutzer, texte dans lequel Tolstoï a voulu défendre la chasteté selon l’idéal du Christ, contre "la conviction solide, commune à toutes les classes et appuyée par une science mensongère, que les rapports sexuels sont indispensables à la santé" .

    Tout au long de l’essai, Sastre s’efforce de distinguer l’asexualité de l’abstinence et de la chasteté et pose que : "l’asexualité désignera dans cet essai un rapport minoritaire de certains individus à la sexualité" selon le "parti pris de considérer l’asexualité comme un comportement comme un autre" .

    L’asexuel-le n’est donc ni chaste ni abstinent-e, ni un-e ado attardé-e effrayé-e par son corps qui se transforme, ni un-e frustré-e retiré-e de la vie sociale et des échanges en tous genres qu’elle implique. L’asexuel-le peut vivre en couple, avoir des rapports sexuels, se masturber, même avoir des enfants mais, pour elle ou lui, ce qui touche au désir sexuel est indifférent. Le sans-désir n’est ni atteint d’une pathologie ni ne se comprend comme tel, son indifférence au désir sexuel n’est pas un problème pour lui.

    Titre du livre : No sex. Avoir envie de ne pas faire l'amour.
    Auteur : Peggy Sastre
    Éditeur : La Musardine
    Date de publication : 25/02/10