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  • Le carnisme, ou l’état agentique face à l’ordre du monde

    1- L’ordre du monde, justification de la logique carniste

    J’ai dernièrement abordé un sujet qui a maintes fois été traité dans les Cahiers antispécistes: le carnisme en tant que conformation à un ordre du monde mystique; obéissance d’autant plus complaisante que cet ordre du monde nous placerait en haut de la hiérarchie des espèces, « au sommet de la chaîne alimentaire ».

     

    Cette conformation donne lieu aux arguments suivants, lorsqu’il s’agit de défendre sa consommation de viande:

     

    1) Nous sommes la classe dominante (et devons donc le rester)

     

    « si on ne les mange pas c’est eux qui nous mange et qui nous dirige » (merci à Le Page du forum Vegeweb pour avoir reucueilli cette citation)

    ou encore:

    « Nous sommes au sommet de la chaîne alimentaire, toute chaîne alimentaire est fondée sur les relations complexes entre êtres vivants qui se bouffent les uns les autres » (commentaire qui circule sur plusieurs blogs végétariens)

    N’importe quel débat anti-pro-végétarisme ou spéciste-antispéciste fournit des perles du genre: nous n’avons pas évolué jusqu’au sommet de la chaine alimentaire pour manger des légumes, les animaux sont stupides, etc etc.

     

    2) Les animaux aussi se mangent entre eux (ce qui prouve bien que c’est naturel, que c’est dans l’Ordre des choses)

     

    « après tout, les fourmis sont des esclaves d’un seul individu, les lionnes sont exploitées sexuellement par un seul mâle, les éléphants vivent sous un régime matriarcal, etc. Les antispé anar devraient donc d’abord tenter de libérer les animaux de leur exploitation spécifique intra-espèce! » (lu sur un forum anarchiste; citation d’un certain abel chemoul)

     

    « J’imagine en ce cas que vous ne défendez pas les dauphins (quand 2 bandes de dauphins se croisent, en plus de se foutre sur la gueule, les mâles violent les femelles adverses) ? Ni les chats, dont l’accouplement s’apparente aussi furieusement à un viol.* » (Encore une fois, citation d’un forum anarchiste ! Un certain roro dont la signature est: « La Nature n’a fait ni serviteurs ni maitres, c’est pourquoi je ne veux ni commander ni recevoir d’ordres. » Cocasse, non?)

     

    L’absurdité ce ces raisonnements saute aux yeux quand on se rend compte que d’une part, les gens citent des exemples pris dans la nature pour montrer que la domination spéciste fait partie de l’ordre des choses; d’autre part, dans le même but, ils placent une frontière infranchissable entre l’Homme et l’animal, le premier étant supérieur au second. D’ailleurs, la personne qui écrit ceci:

    « Nous sommes au sommet de la chaîne alimentaire (…) »

    Ecrit aussi dans le même message, un peu plus haut:

    « on ne demandera pas à un lion de s’abstenir de nous manger, on tentera de ne pas croiser son chemin. »

     

    Nous sommes donc au sommet de la chaîne alimentaire tant qu’on ne croise pas le chemin du lion. Edifiant.

     

    D’ailleurs, en règle générale, le respect de l’Ordre du monde est dans toute les mentalités tant que cet ordre nous place au sommet de la hiérarchie des espèces. Les chasseurs nous bassinent avec l’écosystème dont ils font étroitement partie via la chasse (y compris le plomb qu’ils balancent dans les zones humides et autres canettes de bière dans la forêt), mais dès que l’un d’eux a un accident, qu’il tombe d’une falaise ou d’un arrêt cardiaque dans un champ de betterave à l’âge de 52 ans (merci le cholestérol), là il n’y a plus de « mort qui fait partie de la vie », de « c’est la nature »: c’est un drame et puis c’est tout.

    D’ailleurs, voyez comment ce pauvre roro cité plus haut, anarchiste révolutionnaire, redevient un bidochon lambda quand la question de la domination spéciste arrive sur la table.

     

    Mais bref, ce n’est pas là mon propos. J’admire la façon dont les gens acceptent les hiérarchies quand celles-ci les placent en haut, mais je souhaite aller plus loin dans mon propos.

     

    3- Impossibilité de changer l’Ordre du monde

     

    Hé oui, de toutes façons, on ne peut pas changer l’Ordre du monde, on est donc forcés de Lui obéir.

    On trouve ainsi des arguments tels que:

    « Il faut bien vivre dans des conditions « normales », des cnditions que la nature a faites de telle sorte que ça se passe comme ça. »

    ou encore des points plus précis qui rendraient impossible l’arrêt de l’exploitation animale:

    « mais si des animaux sont tués en masse c’est bel et bien pour sauver des vies humains ! On dirais que certains aiment plus nos amis les bêtes que nos frères les Hommes. En ce qui concerne l’Amazonie, si tu veux faire des champs afin de distribuer des céréales au Monde afin qu’il devienne végétalien saches que l’Amazonie sera détruite deux fois plus vite qu’a l’allure actuelle.) »

    (citations relevées au hasard sur la toile dans des débats sur le végétarisme)

    Ou encore, citation du même abel chemou du forum anarchiste:

    « Et puis l’antispécisme pose des questions écologiques: si on arrête « d’exploiter » les animaux de ferme, on en fait quoi? le fait est que ces animaux n’ont plus de prédateurs naturels depuis des millénaires. Le seul facteur de régulation des animaux d’élevage, c’est nous! Si on décide qu’ils ont droit à la liberté, on va vers un massacre écologique pour le reste de la faune et de la flore par surpopulation, tout simplement. » ¨***

     

    Notez au passage la faiblesse de l’argumentation à ce stade: Nous devons continuer d’exploiter et de tuer les animaux parce que, au choix, si nous ne le faisons pas l’amazonie va être détruite**, les éleveurs vont être au chomâge, et nous serons envahis par les vaches qui détruiront les forêts***.  Ce très soudain souci de « ce que nous allons bien pouvoir faire de toutes ces vaches », qui m’avait tant surpris à une époque comme je le raconte dans mon article sur les contradictions carnistes, n’est plus si étonnant que ça quand on le comprend comme l’expression d’une résistance, d’une peur face à un bouleversement de l’ordre du monde. Ces gens se fichent bien de la forêt amazonienne, si ce n’était pas le cas ils se renseigneraient suffisamment sur l’écologie pour arriver au constat évident que l’élevage est une catastrophe écologique, de par la déforestation, les besoins monstrueux de l’élevage en surface terrestre, les gaz à effet de serre, la gabegie en eau (pour abreuver et nettoyer les animaux mais surtout pour faire pousser de quoi les nourrir), et en ressources diverses, la pollution des nappes phréatiques, etc etc. S’ils se fichent de l’écologie, ce n’est pas la terre qu’ils défendent, mais l’Ordre du monde qui lui est associée. La différence peut n’être pas évidente à cerner, car pour beaucoup, l’Ordre du monde est représenté par la Nature, entité idéalisée et personnalisée en pseudo-divinité, qui aurait une volonté; une sorte d’avatar de Dieu pour les non-croyants (ou ceux qui se croient non-croyants !).

     

    Je ne souhaite pas ici faire une liste exhaustive des types d’arguments qui visent à défendre l’Ordre du monde tel qu’il est. Je pense que mon propos est clair, et ces citations donnent un aperçu à peu près représentatif de la façon dont les carnistes, soit défendent l’Ordre du monde, soit se défendent de faire quelque chose du mal en se justifiant par l’obéissance nécessaire à l’Ordre du monde; qu’on ne peut pas changer, de toutes façons.

     

    Car c’est cela qui est bien pratique avec l’Ordre du monde: c’est lui qui est responsable. S’en remettre à la Nature, à Dieu ou à l’Ordre du monde,, c’est ne plus être coupable, puisque de toutes façons, les choses sont ainsi, ainsi va la vie, dont la mort fait partie, etc…

     

    Mais malgré les injustices flagrantes relevées dans la Nature, il arrive que des gens, tout à fait normaux et intelligents par ailleurs, se transforment soudain en fervents défenseurs de l’Ordre du monde. Tels les passants lamba qui se transforment en agents dans la Matrice, ils vont soudain se mettre à défendre l’Ordre, disant qu’il est très bien comme ça (et que de toutes façons on ne peut pas le changer).

    Ce n’est pas par hasard que j’ai cité un certain nombre de membres d’un forum anarchiste pour appuyer mes dires. Voyez comme ces fervents révolutionnaires, qui disent vouloir une société libre où chacun est son propre maître, et basée sur le respect de chacun des droits d’autrui, se transforment soudain en fervents défenseurs d’un Ordre naturel auquel nous devons obéir, qu’on ne peut pas changer sous peine de subir une sorte de châtiment divin, et dans lequel les uns dominent et font souffrir les autres parce qu’ils le peuvent****.

     

    Si vous êtes végétarien ou végan, même depuis peu, ou simplement si vous avez déjà discuté de végétarisme, vous avez eu sans doute eu une impression de déjà-vu quand vous avez lu les quelques arguments que j’ai cité. C’est que ce discours est totalement formaté, c’est le même partout. Quelques modalités changent, le rendant plus ou moins stupide, plus ou moins caricatural. N’importe quelle personne intelligente et ouverte d’esprit peut vous sortir ce même discours, et ce sera le même discours que dans la bouche du premier crêtin venu, avec parfois même des similités de vocabulaires qui peuvent surprendre de la part de personnes n’ayant rien à voir les unes avec les autres. C’est ainsi que l’anarchiste révolutionnaire dira à peu près la même chose que le premier beauf venu ramassé au café du commerce. C’est comme si les gens se faisaient défenseurs d’une logique extérieure à eux, comme s’ils laissaient un discours étranger passer par leur bouche, comme s’ils se transformaient en robots diseurs de la Pensée Unique.  D’ailleurs, on peut parfois le remarquer à la façon dont ils prennent la parole rapidement : ils ne réfléchissent vraiment pas avant de parler, ils se mettent d’embler à défendre le Système, à recracher un discours préformaté. Parfois avec agressivité: attention, on attaque le système!

     

    Cet automatisme, je l’ai eu moi aussi, la première fois que j’ai rencontré un discours antispéciste. Mais enfin, la Nature est comme ça ! Et je peux vous dire qu’à ce moment-là, au niveau cérébral, c’est le degré zéro de la réflexion. Ce n’est qu’ensuite que les gens se mettent à réfléchir, mais la plupart du temps, ils ne réfléchissent pas à l’antispécisme, aux thèses qu’on leur expose, mais à ce qu’ils vont bien pouvoir dire pour défendre le système tel qu’il est. (Et c’est là que, souvent, les perles jaillissent).

     

    Pourquoi cet automatisme? Pourquoi se faire tout à coup défenseur d’un Ordre qu’on subit? Parce que cet ordre a eu le bon goût de nous avoir placé en haut de la hiérarchie des êtres? Peut-être, mais pas seulement. Je pense qu’il y a là une expression de l’état agentique dans lequel les gens se trouvent être dès que l’on aborde le sujet de l’antispécisme et des conséquences qui découlent de cette idéologie. J’ai déjà brièvement évoqué les expériences de Milgram et le parallèle qu’on peut faire avec la consommation de viande. J’y reviendrai dans mon prochain billet.

     

     

     

    *Bien que l’argument soit ridicule, je m’empresse de préciser, pour la culture, qu’il s’agit d’anthropomorphisme, le viol n’existe pas chez les chats. L’acte sexuel serait douloureux pour la femelle du fait d’épines implantées sur le pénis du mâle et dirigé vers l’arrière et blessent le vagin lors du retrait, ce qui fait augmente l’agressivité de la chatte qui peut s’en prendre violemment au mâle après le coït. Cela n’empêche pas la chatte de continuer à rechercher l’accouplement pendant ses chaleurs. De plus, l’impression de viol peut être augmentée par le fait que les mâles ont développé un comportement qui consiste à attraper la femelle au niveau de la nuque par la gueule; cela permet de provoquer un réflexe inné bien connu chez les chats, qui ont tendance à se calmer quand on attrape la peau de leur nuque comme la mère pour transporter ces chatons. Bien que ce réflexe soit très diminué chez le chat adulte par rapport au jeune, il permet au chat d’augmenter ses chances de fécondation. Pour en savoir plus sur ce sujet, lire par exemple « le chat révélé » de Desmond Morris.

    D’une façon générale, le viol n’existe que très rarement chez les animaux, la femelle doit être receptive et accepter l’accouplement pour qu’il ait lieu, même chez les espèces où le mâle est physiquement plus imposant. Le viol existerait chez certains groupes de dauphins mâles, mais c’est ici très déformé et exagéré.

     

    **Je ne prend pas la peine de contredire ces arguments tellement ils sont nuls, néanmoins sachez que la viande et le soja destiné à l’alimentation du bétail sont les produits les plus exportés du Brésil juste après les agrocarburants, et une cause majeure de déforestation. n’importe quelle visite sur un site végétarien comme celui de l’AVF vous renseignera sur la catastrophe écologique que représente l’élevage.
    ***Je ne résiste pas au plaisir de citer un certain willio qui répond à l’argument d’abel chemoul:

    « Ouais en fait on aimerait bien arrêter de massacrer des animaux mais on va vers un désastre écologique sinon… On est contraints de les exploiter, c’est pas de chance. Tu sais qu’on risque aussi d’aller vers une catastrophe écologique et humanitaire avec le développement démographique de la Chine. On devrait sûrement prendre des mesures similaires pour réguler la population non ? « 

     

    **** Attention, je n’ai rien contre les anarchistes, bien au contraire, mais selon moi l’anarchie implique nécessairement l’antispécisme, car si l’on veut abolir la domination des uns sur les autres, on doit nécessairement faire entrer les animaux dans la sphère des sujets de droit; lire à ce sujet Un Eternel Treblinka, de Charles Patterson.

     

    Dans l’expérience de Milgram, le cobaye est poussé à une obéissance à des ordres qu’il réprouve intérieurement. La particularité de cette obéissance est qu’elle semble, du moins en apparence, être choisie librement par l’individu, puisqu’elle n’entraine aucune récompense concrète (argent ou autre) pas plus que la désobéissance n’entraîne de punition.

     

    Ci après, un extrait du site de psychologie sociale:

     

     

    Image
    Milgram nous dit que l’individu passe de l’état autonome (on est déterminé de l’intérieur) à l’état agentique (l’individu se sent comme un rouage d’une volonté qui est extérieur à la sienne)

    Comment se fait ce passage et quels sont les facteurs de maintenance ?

    Conditions préalables générales :
    • La famille
    • Le cadre institutionnel
    • Les récompenses

    Conditions générales spécifiques :

    • Il faut que les sujets perçoivent l’autorité comme légitime (…)

    Façons de résoudre les tensions :

    • La dérobade comme si on n’entendait plus les cris de l’autre
    • Les manifestations psychosomatiques
    • La désapprobation ; « je ne suis pas d’accord » mais je le fais quand même
    • La  désobéissance qui ramène à l’état autonome

    Facteurs de maintenance dans l’état agentique :

    • La continuité de l’action ; « la main dans l’engrenage »
    • Contrat moral, règles du jeu

    Mais d’où l’expérimentateur détient-il son pouvoir ?

    Il n’a aucun réel moyen de coercition.
    Le pouvoir est une notion éminemment politique et il faut se tourner vers les appareils idéologique d’état : Ensemble d’institutions publiques et privées qui élaborent, inculquent le système de norme et qui a pour fonction la reproduction des rapports sociaux existants.

    Pour conclure, l’individu est en fait habitué à obéir et à recevoir des récompenses pour cela que ce soit dans le domaine scolaire, familial ou professionnel. La société inculque à l’enfant et dès son plus jeune âge un profond respect de l’autorité.

     

     

    L’obéissance est donc le résultat d’un ensemble complexe de facteurs éducationnels.

     

    Comme je le disais en commentaire de l’article sur le Naturalisme et la B12, le choix de consommer de la viande est à la fois choix et non-choix. Il est choix parce qu’il découle d’une idéologie (comme le fait notamment remarquer Mélanie Joy). Et il est non-choix parce que cette idéologie n’est pas réellement celle de ceux et celles qui la défendent. Du moins, les gens ont intégré cette idéologie, chacun en a fait sienne; mais c’est une idéologie qu’on leur a enseignée, et non pas à laquelle ils ont réfléchi. Ils l’ont avalée passivement et peuvent la recracher telle quelle sans aucune modification sur le fond.

     

    Aussitôt qu’on se met à les remettre en question le spécisme et les conséquences qui en découlent (exploitation des animaux, etc), les gens se découvrent comme obéissants à ce système depuis toujours, bien que ce ne soit généralement pas conscient. Ils portent du cuir, ils mangent de la viande, etc. Aussitôt le sujet abordé, ils vont faire principalement deux choses:

    1) S’ôter toute responsabilité en se référant à cette autorité suprême qu’est l’Ordre du monde et qui les fait agir d’une certaine façon

    2) Justifier de la légitimité de l’Ordre du monde (ou de la Nature) pour nous dicter nos actes

     

    Ainsi, ils ne sont pas coupables de tuer des animaux, puisqu’ils ne font qu’obéir à un Ordre auquel on ne peut pas désobéir. Le 2) peut être subtil, il faut souvent tendre l’oreille pour entendre le discours caché. Certaines personnes se contentent du 1), se justifiant de leurs actes (manger de la viande, etc) par le fait qu’ils obéissent à « leur nature » ou à l’Ordre du monde, mais certains vont également défendre cet Ordre de plusieurs façons: défendre la « civilisation humaine » telle qu’elle se construit en dominant les animaux, idéaliser cette Nature qui est si parfaite et harmonieuse et dans laquelle les animaux se mangent entre eux et nous aussi, etc.

     

    Et, même si le meurtre des animaux permet d’entretenir une domination à laquelle les gens ont du mal à renoncer, il est tout de même générateur d’une certaine tension. Chacun se débrouille comme il peut avec, la façon la plus radicale étant bien sur de devenir végétarien.

     

    Il est d’ailleurs assez éloquent de constater la façon dont les végétariens adorent parler de végétarisme alors que les omnivores ont plutôt tendance à fuir ce genre de débats. J’ai toujours eu l’impression que quand le sujet du végétarisme arrive sur la table, les omnivores passent un moment vaguement pénible. On n’en parle jamais bien longtemps. Beaucoup se mettent en colère sans raison apparente, appelant à la tolérance même quand aucune remarque intolérante n’a été faite. Couper court au débat permet de ne pas y penser (je me souviens bien qu’à une époque j’évitais soigneusement de penser à la viande, et pourtant j’en mangeais!) mais comme dans l’expérience de Milgram, les gens ont plusieurs stratégies pour soulager la tension qu’ils ressentent vis-à-vis de la viande.

     

    Nier l’injustice que représente cet Ordre du monde dans lequel les gros mangent les petits, cela revient finalement à ce qui est appelé « dérobade » ci-dessus (sur psychologie-sociale.com). En effet, ce type de réponses est décrit dans les expérience de Milgram, et on peut très bien le voir dans le documentaire « Le jeu de la mort », les gens se comportent parfois comme s’ils n’entendaient pas les hurlements de douleur de la personne censée subir les chocs électriques qu’ils lui administrent, allant même jusqu’à parler en même temps qu’elle, ce qui, si l’expérience était réelle, l’empêcherait d’entendre les questions et donc la ferait souffrir encore plus. Ce comportement peut être mis en parallèle avec celui qui consiste à nier la cruauté de la façon dont on traite les animaux. Cela peut aller de « les animaux n’ont pas de conscience », à « les vaches ne souffrent pas » en passant par « la mise à mort est toujours indolore » (ben voyons).

    Cette négation va facilement jusqu’à l’absurdité, laissant aux antispécistes la tâche de démontrer que les animaux ont une conscience et qu’ils souffrent. Or, c’est une évidence. Comment ne pas mettre en parallèle la question « les animaux souffrent-ils » avec d’autres que l’on a posées de la même façon à certaines époques, du type « les Noirs/les juifs font-ils partie de l’humanité » ou encore « les femmes ont-elles une âme »? J’ai entendu des chercheurs en comportement travaillant sur les émotions des animaux se demander à haute voix si ces derniers pouvaient souffrir. Absurde.

     

    Mais, comme dans l’expérience, les gens peuvent aussi utiliser la désapprobation pour résoudre leur tension: « je ne suis pas d’accord mais je le fais quand même ». Donc en ce qui concerne l’exploitation des animaux : « c’est vrai, c’est cruel, mais c’est la vie », « de toutes façons, on ne peut pas changer le monde », etc. C’est plus difficile à tenir comme position, car on a alors à admettre qu’on se plie à un système injuste. C’est pourquoi les gens qui choisissent cette stratégie coupent assez rapidement la discussion: « arrête, tu vas me couper l’appétit ». « Il vaut mieux ne pas savoir, de toutes façons ».

     

    Certains cobayes de l’expérience essaient aussi de tricher en donnant des décharges éléctriques plus basses que ce qu’ordonne l’expérimentateur… La viande bio et le bien-être animal font-ils partie de ce type de triche? Quand on constate que ce sont souvent les partisans du bio et du bien-être qui sont le plus virulents pour défendre l’Ordre naturel et la consommation de viande qui en découle, et du système d’exploitation des animaux en général, ça fait réfléchir.

     

    3- L’Ordre Naturel comme autorité ?

    Evidemment, l’Ordre naturel n’explique rien en réalité, puisque ce sont les gens qui, individuellement mais surtout collectivement, décident de manger de la viande. La consommation de viande est une norme culturelle, sociale, et non pas une norme naturelle ou universelle.

    C’est pourquoi, dans les arguments que j’ai cités la dernière fois, on peut lire entre les lignes un amalguame entre la société humaine et la Nature. Il est aussi beaucoup plus difficile de dire « j’obéis à la société » que « j’obéis à l’Ordre naturel des choses » (surtout pour un anarchiste !).

     

    La Nature, idéalisée, fantasmée, personnalisée, est pour beaucoup de gens une autorité très légitime, plus légitime que la société humaine ou même que la norme sociale. Cette dernière n’est que le fait des autres humains; et donc, dire « j’obéis à la norme sociale », ça revient à dire qu’on fait comme tout le monde comme un mouton*, ce qui est très dévalorisant dans une société qui privilégie l’individualisme et la domination; alors que « j’obéis à l’Ordre naturel », « à la Nature qui m’a fait carnivore » ou encore « a Dieu qui a créé les animaux pour que l’Homme les mange » (et les femmes pour porter les bébés), font référence à des autorités auxquelles on ne peut que se soumettre.

     

    Evidemment, l’Ordre naturel n’existe que dans l’éducation et dans le cerveau des gens qui le défendent. Car aucun Ordre, aucune Nature personnifiée, aucun dieu ne « veut » que je mange de la viande**. Seule la société nous y pousse, et encore, il n’est pas si difficile de résister. La Nature, l’autorité la plus à la mode pour nous dicter  notre comportement, n’est pas une entité possédant une volonté et à même de nous dicter nos actes et de nous punir si nous désobéissons. Pourtant, beaucoup de gens ne font que s’appuyer sur l’existence d’une telle entité pour justifier leur consommation de viande, les punitions allant d’une mort prématurée à une vie artificielle et dénuée de plaisir, en passant par la destruction de l’environnement (parfait non-sens d’ailleurs).

     

    Tout ceci jette un éclairage sur un argument apparemment absurde et sans consistance mais très souvent utilisé, notamment dans des publications de l’INRA sur le bien-être animal ou dans les milieux professionels en général: on peut utiliser les animaux parce qu’on le fait. Dans la citation suivante, les auteurs vont jusqu’à reconnaître que l’antispécisme est cohérent, mais le rejettent parce qu’en l’acceptant, on devrait renoncer à l’exploitation des animaux.

    « [p]our rigoureuse qu’elle soit, cette argumentation [de Peter Singer] ne saurait caractériser (ni régler) les rapports établis entre les hommes et leurs animaux domestiques. L’élevage, en effet, est une relation hiérarchique. S’il implique (comme nous allons le voir) que les animaux domestiques fassent l’objet d’une considération morale, il exclut que l’on pose l’égalité entre les intérêts des hommes et ceux des animaux dont ils prennent soin. »

    (Cité par David olivier ici)

    Autrement dit,le système existe, on doit donc lui obéir.

     

    On voit ici encore une fois à quel point l’argumentation spéciste se réfère à des idéologies soit mystiques ou délirantes, soit dissimulées (dissimulées en particulier dans des publications scientifiques censées rester rationnelles, qui ne peuvent se permettre d’en appeler à Dieu / Nature / Ordre / Jehova / Allah / etc pour justifier les pratiques spécistes); tandis que l’antispécisme est basé sur des faits et utilise des arguments rationnels.

    Des expressions tel que « animal non humain » sont d’ailleurs très mal digérées par les anti-antispécistes. Elle ne fait pourtant que remettre les choses à leur place, puisque c’est un fait scientifique que les humains sont des animaux.

     

    Une dernière citation, juste pour rire. Leo du forum anar nous apprend que:

    « Si les humains sont des animaux, ont ne voit pas pourquoi certains prennent la peine d’écrire, de donner des avis, d’animer un forum ou un collectif, et globalement, au niveau de l’espèce humaine, font des milliards de choses différentes… et pas les animaux !
    Les animaux, ont-ils un avis sur eux-mêmes et sur le monde ? Parlent-ils, font-ils de la musique, de la peinture. Du feu ? Etc…
    C’est une croyance, une « foi ». Dire : les hommes sont des animaux, c’est comme dire : Dieu existe.
    Et face à la « foi », on est toujours désarmé car les arguments n’ont pas d’effets : celui qui veut absolument que Dieu existe, il lui suffit de la faire exister (en parole).
    Et le plus drôle, c’est que la possibilité même de croire, d’avoir la foi (en Dieu ou en l’animalité de l’homme) fait partie des attributs humains, et non des animaux ! »

     

    Bel exemple de négation de la réalité, dans lequel on apprend que le fait que les humains soient des animaux n’est pas un fait scientifique mais une croyance. M’aurait-on menti à la fac?

    (J’aime bien cette citation: amusez vous à replacer « les hommes sont des animaux » par « les chats sont des mammifères » ou « 2+2=4″ ou encore « Tachkent est la capitale de l’Ouzbékistan ». Vous pourrez ainsi passer d’agréables moment à rire, seul, en famille ou entre amis. De rien.)

     

    Bref, pour résumer l’idée en une phrase, la défense irrationnelle de la consommation de viande pourrait correspondre à l’expression d’un état agentique face à l’autorité incarnée par une entité mystique, appelée Dieu, la Nature, l’Ordre du monde, ou autre.

    Pas étonnant donc qu’on entende autant de conneries et qu’on en lise encore dix fois plus sur la toile.

     

    * Pardon aux moutons pour l’expression spéciste, mais c’est ce que tout le monde dit! … Parfois je me demande s’il ne faudrait pas dire « comme un humain ».

     

    ** Une conception spirituelle de l’univers proche de la mienne impliquerait au contraire de s’en abstenir, mais contrairement aux spécistes, je n’utilise pas cet argument qui ne regarde que moi, car j’ai des arguments rationnels pour défendre l’antispécisme et je m’en sers. D’ailleurs, une référence à quelque chose de mystique ne saurait en aucun cas constituer un argument pour quoi que ce soit.

     

    via : lesquestionscomposent.fr

  • Je ne suis pas une vitrine

    Les préjugés contre le mode de vie qu’est le véganisme forment une véritable arme de guerre contre le mouvement antispéciste. Ils vont des plus grossiers aux plus subtils, des plus surprenants aux plus courants.

    Beaucoup de ces préjugés ne tiennent qu’au naturalisme qui amène les gens à considérer que la viande est porteuse d’un « quelque chose » nécessaire pour vivre : les vegans sont pâles, maigres, malades, voire, selon des naturalistes pur et durs comme Robert Masson, agressifs parce que frustrés par leur alimentation carencée, ou je ne sais encore quelle sottise.

    D’autres sont plus particuliers, dus au fait que la personne qui les émet a rencontré un, deux, voire trois véganes, et qu’ils avaient tous un trait en commun qui lui a déplu. Ce n’est bien sur pas spécifique au véganisme: en voyageant, j’ai rencontré le même phénomène à propos de certaines nationalités (Par exemple, les français râlent tout le temps, parce que je râle et que la dernière fois que quelqu’un a râlé ici, c’était aussi un français. Peu importe s’il y a des raisons de râler).

    Les plus stupides se contentent de rencontrer un végane qui est d’une compagnie désagréable pour conclure que les véganes sont des emmerdeurs. D’autres se croient au-dessus de tout préjugé quand ils attendent d’en avoir rencontré deux ou trois. Sans compter le fait qu’un emmerdeur, c’est aussi quelqu’un qui est de mauvaise humeur au moment ou vous le rencontrez. D’ailleurs, beaucoup de gens sont de mauvaise humeur quand on leur tient des propos stupides et discriminatoires; ce que beaucoup d’omnivores font sans s’en rendre compte. Ainsi, certaines personnes considèrent les véganes comme des chieurs intolérants, tout simplement parce qu’ils ont une attitude qui énerve les véganes.

    Mais bref; ce que je veux surtout souligner, c’est que les véganes étant minoritaire, et constituant un groupe de personnes partageant certaines convictions profondes et le style de vie qui va avec, il y aura toujours des préjugés à leur égard.

    • Un omnivore malade est malade à cause d’un virus, d’une bactérie ou d’un courant d’air. Un végane malade l’est par manque de viande.
    • Une fracture chez un omnivore est liée à un traumatisme. Une fracture chez un végane est due au manque de calcium.
    • Un omnivore qui critique le mode de vie végane, c’est normal, il critique. Un végane qui critique le mode de vie omnivore est sectaire.
    • Un omnivore qui insulte un végétarien à cause de son régime alimentaire, c’est un con. Un végétarien qui insulte un omnivore parce qu’il mange de la viande, c’est la preuve que les végétariens sont intolérants.
    • Un végane qui refuse qu’on mange de la viande dans sa maison est sectaire, un omnivore qui ne peut pas se passer de viande pendant un repas est tout à fait normal.
    • Si un omnivore ramène à une fête d’anniversaire un gâteau dégueulasse, c’est parce qu’il est mauvais en cuisine. Si un végane fait de même, c’est parce qu’on ne peut pas faire de gâteau sans laits et sans œufs, voyons!
    • Un omnivore qui fait la gueule a des raisons à lui. Un végane fait la gueule parce qu’il est vegan, prouvant à lui seul qu’en général, les véganes font la gueule.

    « Moi j’ai rencontré un végane, il faisait tout le temps la gueule, pis il disait pas bonjour ». Ha ben c’est curieux, a ces mots, je ressens une furieuse envie de te faire la gueule et de ne pas te dire bonjour. Ca doit être parce que tous les véganes sont pareils.

    Mais le pire c’est quand même la menace suprême (illustrée par insolente veggie): Si t’es trop vilain avec moi, hé ben je serai pas végétarien. En général, cela prend des formes plus subtiles, telles que: « ha ben si c’est comme ça que vous réagissez, je préfère ne plus m’intéresser au végétarisme » (hé ben casse-toi…) ou encore « vous nuisez à votre cause » et autres conneries du même acabit. Ca m’énerve, parce que j’ai pour habitude de considérer chaque être humain adulte comme un individu responsable. Et quand un adulte me dit: « je m’intéressais, mais si c’est pour faire face à tant d’intolérance (en général c’est quand on lui a fait remarquer qu’il disait une connerie) hé bien je préfère arrêter là ».

    Ce qui veut dire que vos arguments ont attiré son attention sur des problèmes cruciaux, mais comme vous n’êtes pas souriant et agréable face à toutes les conneries qu’on peut vous sortir, hé bien l’adulte responsable va retourner à son mode de vie irresponsable, en cessant immédiatement de réfléchir.

    Il faut souligner que la paralysie psychique(1) qui permet aux gens de manger de la viande est un obstacle difficile à abattre pour eux ; et qu’il est donc plus facile pour eux de sauter sur le moindre prétexte pour arrêter d’y réfléchir. Mais quand un adulte me menace d’arrêter de réfléchir si je ne suis pas gentille avec lui, je trouve ça difficile d’encaisser stoïquement l’info. Ce comportement est certes puéril, et au final ce sont les animaux qui en sont les victimes (ainsi que la planète, le tiers monde, et pour finir, la personne qui l’émet) mais il n’y a rien à faire contre ça.

    Car oui, que faire? Que répondre? Comment se comporter face à de telles attitudes?

    Ne pas faire la gueule? Ne jamais être malade? Ne pas se comporter comme un humain normal pour ne pas laisser dire aux gens « t’as vu, il/elle [comportement indésirable à insérer ici] ça doit être à cause du manque de rillettes ».

    Le pire c’est que ce chantage idiot marche sur beaucoup de végétariens et qu’à une époque, j’ai été très sensible à ça, à ce que je représentais en tant que végétarienne. C’est très courant chez les végétariens récents, et je me souviens même avoir trouvé que les végétariens de longue date ne faisaient pas d’efforts dans ce sens. Or, il y a deux raisons à cela.

    La première est qu’on ne peut pas vivre sa vie en étant une vitrine ambulante de son mode de vie, c’est juste épuisant.

    La seconde et qu’en s’efforçant de le faire, on cède à la végéphobie ambiante. On admet tout ce que j’ai listé au-dessus: que si on est chiant c’est parce que les végétariens sont chiants, etc. On admet ainsi former une espèce de communauté soudée dans laquelle tout le monde se ressemble.

    Or, il y a des connards partout, et un végane n’a pas forcément envie d’être assimilé à tous les autres véganes. Certes, les véganes partagent des valeurs communes d’une grande importance. Mais il y a aussi beaucoup de choses qu’ils ne partagent pas. Vouloir toujours être solidaires des autres et les représenter, c’est accepter un préjugé insupportable selon lequel tous les véganes se ressemblent.

    Si ce préjugé est insupportable, ce n’est pas parce que chacun veut être un unique flocon de neige. C’est parce que ça laisse entendre que le véganisme est une question de personnalité, de croyances individuelles. Qu’on est végétarien parce qu’on est gentil, sensible ou bouddhiste. Or, le véganisme, via l’antispécisme, pose une question politique. Et force est de constater que les véganes peuvent être très différents les uns des autres. Ils n’ont pour trait commun qu’une forte personnalité et la capacité de remettre en question ce qui est établi. C’est simplement parce que si on est trop perméables aux pressions sociales, on ne devient pas végane. Mais pour autant, les véganes ne se ressemblent pas.

    Y a des véganes que je ne supporte pas. Y a des véganes racistes (ne me demandez pas comment c’est possible, je ne comprend pas non plus). Y en a certains que je trouve moralisateurs et donneurs de leçons, d’autres que j’aimerais se voir bouger un peu plus pour défendre ce en quoi ils croient. Y a ceux qui s’en foutent des 0,0003% de vitamine D d’origine animale dans leurs corn-flakes, et ceux qui leur font la morale. Et y a ceux qui s’en foutent pas, mais qui ne font la morale à personne. Y a des véganes qui ne sont pas militants du tout. D’autres qui créent des associations, font des manifs etc. Je trouve certains véganes exagérément mystiques, d’autres carrément trop anti-religion ou trop rationnels à toute épreuve (qui doivent eux-même me trouver mystique, alors que ceux que je trouve mystique doivent me trouver trop rationnelle). Y a des véganes qui passent leur vie à récupérer des animaux de compagnie abandonnés, à les sauver, à les chouchouter; d’autres qui n’aiment pas trop toucher les chiens parce que ça sent mauvais. Y a des véganes citadins qui sont très heureux de vivre à Paris, d’autres qui ne supporteraient pas de vivre ailleurs qu’à la campagne. Y a les pantouflards et les globe-trotters. Y a des sportifs, des geeks, des métalleux, des joueurs de jeux en réseau, des hippies, des jeunes, des vieux. Y a les crudivores, les adeptes du bio et ceux qui ne mangent que des falafels et des pâtes à l’huile. Y a les artistes de la gastronomie, et y a ceux pour qui mettre des nouilles dans de l’eau chaude c’est déjà de la grande cuisine (hein Zerh). Y a les intellos et ceux qui sont plutôt portés sur l’action… etc.

    Il y a une telle diversité en tous points de vue chez les véganes, que je me demande souvent si tel omnivore n’aurait pas été végane si tel évènement était survenu dans sa vie, ou si tel végane ne serait pas resté omnivore s’il n’avait pas vu telle vidéo, lu tel texte ou rencontré tel animal. Moi-même je ne serais peut-être pas végane si je n’avais pas étudié de près les productions animales. Je continuerais à aimer le poulet et le saumon cru sans me poser de questions.

    Comment demander à chacune de ces personnes de représenter tous les autres à chaque fois qu’un non-végane le ou la regarde? (c’est à dire, généralement quand il n’est pas aux toilettes).  C’est tout simplement impossible. Et accepter d’être représentatif de tous les autres vegans, non seulement c’est une responsabilité de chaque instant dont personne ne veut, mais c’est en plus se montrer solidaires d’individus avec qui on a en commun que le fait d’être vegan. Ni nous ni eux ne veulent ça. Je n’ai pas envie d’être représentative de quelqu’un qui a écrit sur un mur facebook que les chinois sont une sale race, pas plus que cette personne ne veut que je la représente. Pourtant, elle est végane.

    Et plus que de représenter les véganes dans leur ensemble, il faudrait aussi représenter le véganisme, comme style de vie. C’est une responsabilité encore plus importante et elle ne devrait, à mon sens, appartenir à personne. Chaque individu devrait se renseigner lui-même en toute objectivité et non pas attendre que les véganes militant lui fassent des courbettes. D’ailleurs, faire des courbettes aux omnivores pour qu’ils deviennent veganes, c’est pas seulement admettre que tous les veganes se ressemblent et doivent être mis dans le même sac; c’est aussi prendre les gens pour des cons, et en plus de cela, c’est se comporter comme si le véganisme en lui-même n’était pas convaincant. Comme si les gens ne pouvaient pas se convaincre eux-même de l’injustice du spécisme, de la nécessité de le remettre en question. En somme, soit les gens seraient stupides, soit l’antispécisme ne serait pas un système de pensée suffisamment rationnel et logique, on aurait pas d’arguments valables pour le défendre, alors il faudrait l’emballer dans un joli paquet cadeau, mettre les formes

    Cela reviendrait à nier les animaux, nier l’importance qu’ils devraient avoir… Nier l’importance qu’ils ont. Car les animaux souffrent, et chacun devrait regarder en soi pour savoir ce qu’il veut vraiment à ce sujet.

    Je discute avec des gens intelligents et d’autres qui le sont moins, mais jamais je ne commence une discussion en supposant que mon interlocuteur est stupide. D’abord s’il est stupide, je ne vois pas l’intérêt de discuter avec lui: contrairement à l’adage répandu, si je ne parle pas aux cons, c’est justement parce que cela ne les instruit pas. Et je suppose qu’il est stupide alors que ce n’est pas le cas, je ne lui offre pas la possibilité de discuter avec moi d’égal à égal. S’il s’avère au cours de la conversation qu’il ou elle révèle son manque d’intelligence et de maturité (par exemple en m’objectant un joli chantage du genre: si tu n’es pas un bon représentant du groupe « végane » et de l’idéologie « antispécisme », si tu ne me fais pas des courbettes en me disant que je suis beau et intelligent et en me fournissant tous les documents que j’ai la flemme de chercher moi-même, je retourne à mon steak, attention!) alors tant pis, c’est son problème, pas le mien.

    Bien sur, ce que je dis peut être nuancé. Dire que je ne suis pas une vitrine vivante qui doit être toujours parfaite et jamais malade, ça ne veut pas dire que je suis incapable de faire preuve de diplomatie en certaines circonstances. C’est la moindre des choses quand on expose son point de vue à quelqu’un qui y est très probablement opposé. Le spécisme étant l’idéologie dominante, s’y opposer demande parfois de savoir bien choisir ses mots; et comme les gens se sentent souvent culpabilisés et montrés du doigt, il importe parfois de leur faire comprendre que ce n’est pas le but, qu’on ne les juge pas. Après tout, les animaux dépendent de nous, et ils ne peuvent pas se défendre eux-même…

    Mais il y a des limites. Il y a un fossé entre la diplomatie et la prostitution que certains exigent pour accepter de nous faire l’honneur de leur conversation (souvent pénible arrivé à ce stade du débat). Je me soucie des animaux, mais je n’accepte pas de les voir prendre en otage à la moindre occasion.

    Et puis, il y a aussi les circonstances de la vie. Je veux bien prendre un soin particulier pour m’habiller le jour ou je vais donner un coup de main pour aider à tenir un stand d’informations sur le végétarisme. Sans accepter les préjugés, il peut être bon de ne pas y prêter le flan volontairement! Je veux bien être souriante quand je distribue des tracts, je veux bien expliquer aux gens que j’ai perdu 20 kilos en étant végétalienne même si ce n’est pas forcément le sujet central, je veux bien expliquer que je suis heureuse de mon choix de vie et faire quelques efforts de diplomatie en discutant avec un passant.

    Mais je ne vais pas passer ma vie à faire ça. A faire de la corde à sauter sous le nez des gens pour leur montrer que je suis en bonne santé et sportive tout en portant des minijupes pour montrer que les végétaliennes ont toutes des jolies fesses, tout en mangeant de délicieux cupcakes très beaux pour bien montrer que les véganes cuisinent tous très bien, tout en souriant à tout le monde et en tendant la joue gauche quand on me balance un putain de préjugé à la figure.

    Je vais pas passer ma vie à être agréable et gentille avec des gens qui ne le méritent pas. A me retenir d’éternuer quand il y a un peu de poussière sinon on va croire que tous les véganes sont toujours malades. A me retenir de dire au lourdingue qui fait des blagues vaseuses sur mon choix de vie qu’il se comporte comme un gros beauf. A faire semblant que je vais bien et que je suis en pleine forme alors que je suis de mauvais poil et fatiguée parce que j’ai pas dormi de la nuit.

    Je ne vais pas subir la compagnie de personnes désagréables qui critiquent constamment ma façon de vivre sous prétexte que préférer manger avec des véganes ça fait sectaire. Je vais pas me retenir de dire ce que je pense tout le temps, je vais pas me forcer à sourire quand j’ai envie de faire la gueule.

    Je ne vais pas arrêter de porter des sarouels troués sous pretexte que quelques crêtins vont en conclure que les véganes sont tous des hippies. Pas plus qu’Alderanan ne va se mettre à boire de l’alcool alors qu’il n’aime pas ça juste pour montrer que les véganes sont de joyeux drilles alcooliques et non pas des ascètes tristounets.

    Le véganisme est quelque chose de bien trop sérieux pour qu’on le vende de cette façon. Et le véganisme est déjà quelque chose de pas évident dans une société spéciste et carniste, sans qu’on rajoute la difficulté supplémentaire d’être obligés de se vendre en permanence.

     

    (1) Paralysie psychique: « Ce terme a été employé par Robert Epstein, dans un article de la revue Ahimsa de l’American Vegan Society, pour désigner la psychologie des mangeurs de viande. En pratique, la paralysie psychique, cela consiste pour M. et Mme Tout-le-monde à vivre dans une sorte de consensus béat, où l’on partage en masse des croyances jamais remises en cause, car on évacue les questions dès qu’elles approchent en niant simplement l’existence des problèmes. En effet, reconnaître un problème demande qu’on se penche sur sa solution – du moins si l’on a un peu d’honnêteté intellectuelle – mais dire qu’il n’y a pas de problème évite de faire l’effort de chercher une solution… La paralysie psychique est donc très répandue, car elle permet de vivre plus tranquillement. » Extrait de Sur la prédation: réponse à Philippe Laporte, de André Méry, dans les cahiers antispécistes (je suis d’ailleurs loin d’être d’accord en tout point avec le reste de cet article, CQFD)

    via : lesquestionscomposent.fr

  • Etre vegan, c’est dur?

    En France, (ou à l’étranger quand on rencontre des français), je ne vais pas vous refaire une liste exhaustive des conneries qu’on peut entendre quand on annonce qu’on est végétarien ou végan. Et où tu trouves tes protéines (merci à http://mercivegan.fr/proteines-vegetales), et t’es extrémiste,  mais globalement, pour résumer, les gens sont plutôt distants et vont essayer, soit de se donner des airs supérieurs en faisant remarquer quEUX, ils aiment la nourriture, ou vont essayer de vous expliquer (parce qu’ils sont gentils) que ça ne rime à rien ce que vous faites (ou plutôt ce que vous ne faites pas); au mieux, ils vous regarderont poliment comme une illuminée, un peu comme si vous annonciez tranquillement à table que vous cuisinez en dégustez vos ongles de pieds après une bonne rando et que vous adorez ça.

     

    Mais donc, heureusement y a pas que les Français dans la vie, sinon au niveau des droits des animaux on en serait encore à se demander si les vaches ont plus de sensibilité que les carottes (d’ailleurs c’est encore un peu le cas). Et la plupart des gens dans le monde sont assez réceptifs quand on leur dit qu’on évite certains aliments par respect pour les animaux.
    Malheureusement, ça n’empêche que ça reste un mode de vie très éloigné de celui d’énormément de gens, que ce soit en Amérique Latine ou dans les pays de culture occidentale. Je ne sais pas si vous vous souvenez de l’histoire de Sophie, notre très estimée gastronome lyonnaise; mais juste avant qu’elle ne fasse sa Française, le touriste Australien (qui était d’ailleurs très sympa mais ce n’était pas le sujet) nous faisait remarquer que tout ça c’était très bien, mais quand même, c’est dur.

     

    Et c’est souvent comme ça, les gens pensent que c’est dur. Et ça, c’est plus ou moins universel; enfin je l’ai constaté chez tout le monde, que ce soient les Français, les autres occidentaux, les Brésiliens ou les Boliviens (qui sont très différents). Encore une fois, il y a une grosse différence entre les français et les autres, mais c’est une différence culturelle qui ne change rien au fait que les uns comme les autres, finalement, pensent que « c’est dur ». Les français, eux, vont se dire que décidément, qu’est-ce qu’ils sont cons ces vegans de se priver de délicieux paté en croûte, halala quelle imbécillité pas possible, alors que c’est bon la nourriture quoi merde !!

    Alors qu’un Bolivien par exemple, aura une attitude réellement respectueuse, mais pas le respect « à la française », (du genre « on respecte les végétariens » dans le sens : on les tolère parce qu’on leur a expliqué que le pâté en croûte c’était bon, mais c’est des imbéciles de végétariens, ils écoutent pas le bon sens, alors comme il faut pas de mettre sur la gueule à table, on les tolère en leur disant « je respecte votre opinion », comme ça ça permet de passer à autre chose et de ne surtout pas en discuter).

    Non, eux, ils respectent vraiment.

    Bon évidemment je force le trait hein, il faut nuancer mes propos. Mes compatriotes ne sont pas tous des crêtins de beauf qui ne comprennent rien et ont le cerveau trop rempli de pâté de tête pour réfléchir, et la Bolivie compte aussi, comme toute nation et comme tout groupe humain, son lot d’abrutis et de lourdingues. J’espère ne pas vous instruire en vous informant qu’on rencontre des gens super et des cons partout.

     

    Mais globalement, voilà, souvent nous est arrivé, à moi et Alderanan, de nous retrouver en face de gens qui nous regardaient avec des yeux pleins d’admiration pour une telle abnégation morale ! Et là on se sent un peu gêné parce qu’on pense qu’il n’y a vraiment pas de quoi. Parce qu’on ne mange pas de viande, ni de poulet (en Amérique du Sud et surtout en Bolivie, le poulet n’est pas de la viande, allez comprendre), ni de poisson, ni d’oeufs, ni ceci ni cela, ce qui réduit drastiquement nos possibilité alimentaires, du moins dans leur esprit.

    Il y a peut-être des aspects purement pratiques à cela. Au niveau alimentaire, on peut dire que globalement ce n’est pas facile d’être végan en Amérique du Sud(1). Même quand on rencontre des végans du coin, c’est pas évident.

    Mais il n’y a pas que cet aspect, puisque les touristes que nous rencontrons ont aussi l’air de trouver ça vraiment difficile d’être végan, alors qu’ils viennent de pays dans lesquels, d’une part, l’offre en produits végans est plus large et facilement accessible qu’en France; et d’autre part, le véganisme est beaucoup mieux accepté socialement. Pour revenir à notre ami Australien, il avait l’air de trouver ça trop difficile, alors qu’il vit à Sidney, un endroit où ça parait relativement aisé d’être végan (comparativement à la France par exemple), et en plus il est culturiste, donc il a  probablement l’habitude de contrôler ce qu’il mange et de se nourrir sans forcément se laisser guider passivement par des envie de gras et de sucré.

     

    C’est que pour la plupart des gens, le régime végétalien parait vraiment drastique. Beaucoup plus que n’importe quel régime amincissant totalement carencé en à peu près tout, et que les gens n’hésitent pourtant pas à suivre au mépris des désagréments qui vont avec: par exemple, un régime hyperprotéiné, c’est pas très riche en saveurs et même carrément écoeurant, ça fatigue énormément, ça fait puer de la gueule sévère, c’est très dangereux pour la santé et ça ruine le portefeuille, mais pourtant il faut voir le succès de régimes comme par exemple le régime Dukon.  Alors que l’alimentation végane coûte moins cher, on se sent plutôt en forme(2), on découvre de nouvelles saveurs, on sent bon,  et on a plutôt l’impression d’améliorer sa santé plutôt que de la ruiner. Et surtout, on se sent une personne meilleure (heu… pas seulement au niveau des odeurs corporelles), plus en accord avec soi-même, ce qui est le but principal.

    Et pourtant, être végan parait très difficile aux gens, alors que le régime Dukon leur parait au contraire très facile. Son succès est d’ailleurs dans sa prétendue facilité: il permettrait de maigrir « sans effort » (je ne pense pas que suivre un tel régime ne demande pas d’efforts, mais ça épargne en tous cas l’effort de chercher à savoir ce qu’on mange, à acquérir les connaissances nécessaires en nutrition pour équilibrer son alimentation, ce qui permettrait de résoudre durablement ses problèmes de poids, m’enfin moi j’dis ça, j’dis rien).

     

    Peut-être que la facilité des « régimes » est justement ce qui les rend absurdes et nuisibles: le fait qu’ils soient temporaires. Qu’après qu’on ait fini le régime, on reprenne les habitudes de vie qui nous ont rendu gros, et que donc, on regrossisse. Donc pas de panique, se priver de confiture de fraise ou de tarte aux pommes ne veut pas dire qu’on en mangera plus jamais, juste qu’il faut s’en passer le temps… Le temps d’être mince. On en remangera au moment où l’on sera en train de redevenir gros…

    Enfin, je ne vais pas m’étendre sur l’agacement que provoque en moi la simple idée de régime. Mais voilà, l’idée c’est qu’être végétalien, c’est pour la vie.

     

    Et c’est vrai que quand on devient végétarien, ça peut paraître un peu effrayant: l’idée de se passer de tel ou tel aliment pour toujours. C’est à dire: sans aucune exception et sans jamais cesser de l’éviter. Je me souviens que quand je suis devenue végétarienne, je ne savais pas très bien si j’étais en  train de devenir végétarienne ou non. Parce qu’il y avait des aliments que j’aimais bien, qui étaient associés pour moi à des ancrages positifs, ou dont le goût m’était particulièrement agréable; et je me demandais si j’étais prête à m’en passer définitivement. A ne plus jamais mettre tel aliment dans ma bouche et sentir son goût, et ceci pour le restant de mes jours…

    Puis, j’ai oublié. Je ne m’en suis souvenue que récemment, et l’idée que des problèmes aussi futiles aient pu me préoccuper m’a fait sourire . C’est typiquement ce qu’on pourrait appeler un problème d’omnivore: cela parait important pour quelqu’un qui mange de la viande, mais pour un(e) végétarien(ne), ça ne l’est pas… Ca ne l’est plus. Je ne sais même plus quels aliments provoquaient en moi cette ambivalence par rapport au végétarisme. Je crois me souvenir d’un goût très prononcé pour la viande peu cuite, un aliment qui provoque aujourd’hui en moi un dégoût viscéral. Je me souviens aussi que j’aimais bien les surimis. Les goût évoluent beaucoup une fois qu’on a changé ses habitudes.

     

    Mais en même temps je savais très bien que je ne m’engageais à rien, enfin je m’engageais qu’avec moi-même, si j’avais un jour envie de viande crue, j’en remangerais, mais ça n’arrivera très vraisemblablement jamais.

    Je ne me suis jamais sentie frustrée de ne plus manger ces aliments. J’ai cessé de les manger quand je ne profitais plus de mes repas parce que je voyais dans mon assiette un morceau de cadavre de vache, ou un agglomérat de cadavres de poissons compacté.

     

    Puis, j’ai aussi arrêté les oeufs, puis produits laitiers, et j’ai mis un peu plus de temps, parce que les produits réalisés à partir de crème de lait de vache ont un goût bien particulier qui est souvent connoté de façon assez positive. Mais cette fois, je savais que les choses se feraient d’elles-même. Après tout, le lait des mères ne devrait-il pas aller à leurs petits?

     

    Mais mais mais… Se passer de lait de vache et de viande ne suffit pas pour être végan! Car oui, le vegan ne FAIT pas des trucs vegans, le vegan EST vegan.Donc il faut aussi boycotter le cuir, voire même selon certains, se débarasser de ses vieilles grolles en peau d’animal mort, et il faut aussi se passer de miel. Ben oui, puisqu’on est végan. Il faut.

     

    C’est justement là le piège, qui fait apparaître le véganisme comme un truc impossible, réservé à une élite. Je le voyais un peu comme ça quand je commençais à être végétarienne. Beaucoup de gens le voient ainsi et c’est dommage parce que les animaux sont perdants là-dedans. Pour les gens, on est végan, donc on a pas le droit de porter tels vêtements, d’acheter tels produits, de consommer telle nourriture.

    Mais c’est une vision faussée de la réalité puisque ce qui définit justement le mouvement végan, et ce qui lui donne sa force et son intérêt, c’est qu’il est composé de plusieurs personnes qui ont adopté les mêmes habitudes de vie, de sorte qu’il a fallu mettre un nom dessus, définir un concept.

     

    Un article minable écrit par un tocard se faisant appeler journaliste décrivait le véganisme en disant que les végans ne mangeaient pas ceci, pas cela, boycottaient le cuir, la soie et la laine… Et terminait par « et ils ne vont même pas au marineland! ». Incompréhension typique d’un sous-doué notoire: les végans n’ont pas à se priver d’aller au Marineland, puisque n’importe quel végétarien trouverait absurde d’aller payer pour voir de pauvres cétacés sauter dans un cerceau alors que leur place est dans l’Océan. Ca ne viendrait jamais à l’esprit d’un végan d’aller voir un tel spectacle qui ne lui inspirerait qu’indignation et dégoût Mais pour le journaliste, ne pas aller au Marineland, se priver d’un truc aussi mégacool de la mort, ça fait partie des conditions pour être végan, donc les végans doivent se priver de voir des dauphins qui sautent dans des cerceaux.

     

    Je ne boycotte pas le cuir parce que je suis végane, mais je m’appelle végane parce que je suis dans une dynamique de pensée qui fait que je vais d’embler exclure le cuir (et les marineland). Le cuir c’est de la peau d’animal mort et je ne veux pas en acheter. Je n’ai pas besoin d’un règlement qui me dise ce que je dois éviter ou ce que j’ai le droit de consommer. D’ailleurs, quand plusieurs végans ne sont pas d’accord à propos de tel ou tel produit, ça chie des bulles, parce qu’untel va estimer que ce n’est pas végane d’utiliser telle marque de stylo, et unautretel va lui répondre que toutes les marques de stylo testent leurs encres sur les animaux, pas plus celle-ci qu’un autre et qu’on est pourtant bien obligés d’utiliser des stylos(3). De même, je me suis faite sévèrement engueuler sur un forum parce que je prenais de la B12 en ampoules buvables fabriquées par un labo, et les labo, c’est le Mal.

     

    Pourtant, les végans qui utilisent des stylos ou qui boivent des ampoules de B12 ne sont pas moins végans que ceux qui ne le font pas. On est végane à partir du moment où l’on essaie de vivre sans exploiter les animaux (c’est la définition de la Vegan Society, reprise d’ailleurs par la Société Végane bien de chez nous(4)). Et on essaie de vivre sans exploiter les animaux à partir du moment où l’on a une certaine perception de l’animal. Cette perception est difficile à définir clairement, mais on pourrait dire qu’un végane est quelqu’un qui voit dans l’animal un autre, un être sensible, quelqu’un qu’il n’est pas moral d’utiliser comme un moyen, un individu qui a ses propres objectifs de vie.

     

    C’est pour ça qu’être végan est facile. Parce que chaque aménagement que l’on fait dans sa vie, quand on devient végane, on le fait pour une raison bien précise, qui est notre façon de voir le monde; et on le fait d’une façon bien précise, qui est la notre, et pas celle des autres. Untel gardera ses vieilles chaussures en cuir par souci écologique, tel autre finira par les changer parce que sa réprobation contre le cuir l’emportera sur ses convictions écologiques. Mais les deux auront en commun de considérer que ces chaussures ont été faites avec la peau d’un animal qui désirait vivre, et qui font qu’on est pas tout à fait à l’aise avec des chaussures en cuir, même si on exclut le besoin de paraître cohérent aux yeux des autres (qui est aussi variable chez chaque individu).

     

    Etre vegan est facile parce que c’est simplement appliquer à son mode de vie sa vision du monde. Pour bien faire comprendre à un non-végétarien à quel point c’est facile d’être végan, on peut utiliser une comparaison que je n’ose pas souvent en société parce qu’elle choque, mais qui lui permet de faire voir les choses sous un autre angle. Je lui dis: si tu vivais dans un monde où les gens mangent des bébés humains, est-ce que tu trouverais cela intolérablement difficile de ne pas en manger quand on t’en propose?

     

    Il est rare que les gens ne soient pas profondément dégoûtés à l’idée de manger du bébé humain, et pourtant refuser de manger de la viande de bébé humain préparée par d’autres ne changerait pas le sort du bébé ni la profonde aliénation qui existerait dans une société dont les membres s’adonneraient à de telles pratiques. Tout au plus, cela fait entendre une voix différente, quelqu’un qui refuserait que de telles atrocités soient commises, même sans pouvoir les changer tout de suite.

    De même, si vous appreniez qu’un délicieux gâteau a été concocté à partir de lait humain provenant de femmes séquestrées et séparées de force de leurs enfants, je ne pense pas que vous baveriez devant, je ne pense pas que vous penseriez froidement « mon engagement de personne en faveur des humaines m’empêche de manger ce gâteau même si miam, j’en ai très envie ». Vous n’en voudriez simplement pas, vous ne le verriez pas de la même façon.

     

    C’est un peu comme ça que les végans finissent par éviter le lait de vache, et non pas en cherchant à coller à une définition. Quand on sait comment est faite la nourriture, on ne la regarde plus de la même façon, et quand on a adopté une position antispéciste, et qu’on est profondément convaincu du bien-fondé de cette philosophie, on a simplement plus envie de manger un gâteau fait avec du lait de vache. Imaginer ces situations dans lesquelles une personne de notre culture vivrait dans une société dans laquelle on consomme du lait de femme et du bébé humain, on a une petite idée de ce qui est réellement difficile dans le véganisme: vivre dans une société non-végane. Une telle personne souffrirait certes, mais pas de ne pas goûter ce délicieux gâteau au lait de femme. Plutôt de penser aux femmes, aux enfants, au victime de cette société meurtrière heureusement imaginaire.

     

    Voilà pourquoi les vegans ont coutume de dire que le véganisme est facile, alors que tout le monde croit que c’est difficile. C’est parce qu’être végan, c’est normal. Le mot « vegan » n’est qu’un mot, qui a été collé sur le mode de vie de personnes ayant une certaine façon de penser de laquelle découle naturellement une façon d’agir(5).

     

    Imaginez que vous découvriez que vos chaussures ont été faites avec des peaux d’humains qui ont été tués pour cela, je pense que vous vous en débarrasseriez, de même que je me suis débarrassée de mes vieilles chaussures de rando pour les remplacer par des vg-shoes. C’était juste normal que je fasse ça, même si ce n’était pas forcément la solution la plus écologique.

     

    Il est dommage que le végétalisme soit encore souvent vu comme une forme de privation alimentaire, comme un régime comme un autre, alors que c’est bien plus que ça. On pourrait même dire qu’en réalité, le véganisme n’est ni « facile », ni « difficile »: il est, c’est tout. Les gens qu’on appelle « végans » n’ont en réalité aucun autre choix que d’être végans. La seule chose qui peut paraître difficile, c’est d’affronter chaque jour un monde dans lequel les animaux sont persécutés et tués, et que cette attitude envers ces êtres différents fasse intégralement partie de l’ordre social.

    Et en effet, c’est difficile, mais les gens le font parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Tout comme c’est difficile de savoir qu’on va mourir un jour, et on ne passe pas notre vie à se demander si c’est facile ou difficile.

     

     

     

    (1) Quand cet article paraitra, je serai en nouvelle-Zélande, mais à l’heure où je l’écris je suis en Amérique Latine depuis bientôt 5 mois, et je tuerais pour un cupcake ou un jambon weathy. Enfin, c’est une façon de parler, puisque contrairement à beaucoup, je ne tue pas pour du jambon.

    (2) La plupart des végans ne se sentent, physiquement, ni mieux ni plus mal qu’avant. Mais pour ma part, je me sens globalement plus en forme, et depuis un an et demi que je suis végane, la seule maladie que j’ai eu, c’est la tourista.

    (3) Beaucoup d’objets de la vie courante sont fabriqués avec des composants animaux ou ayant nécessité l’utilisation d’animaux: le papier, les ordinateurs, les billets de banque, les réacteurs d’avion, les pneus. Toutes les encres de tous les stylos et imprimantes doivent être testés sur les animaux avant leur mise sur le marché. Donc les véganes utilisent tous les jours des choses ayant nécessité l’utilisation d’animaux.

    (4) quand je vous disais qu’en France y a pas que des connards. Bon, la Société Végane est toute jeune, mais quand même, elle existe.

    (5) ce qui ne veut pas dire que c’est une question de personnalité. Je pense que toute personne se posant la question en toute honnêteté intellectuelle pourrait adopter une position antispéciste.

     

    via : lesmotscomposent.fr