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Le carnisme, ou l’état agentique face à l’ordre du monde

1- L’ordre du monde, justification de la logique carniste

J’ai dernièrement abordé un sujet qui a maintes fois été traité dans les Cahiers antispécistes: le carnisme en tant que conformation à un ordre du monde mystique; obéissance d’autant plus complaisante que cet ordre du monde nous placerait en haut de la hiérarchie des espèces, « au sommet de la chaîne alimentaire ».

 

Cette conformation donne lieu aux arguments suivants, lorsqu’il s’agit de défendre sa consommation de viande:

 

1) Nous sommes la classe dominante (et devons donc le rester)

 

« si on ne les mange pas c’est eux qui nous mange et qui nous dirige » (merci à Le Page du forum Vegeweb pour avoir reucueilli cette citation)

ou encore:

« Nous sommes au sommet de la chaîne alimentaire, toute chaîne alimentaire est fondée sur les relations complexes entre êtres vivants qui se bouffent les uns les autres » (commentaire qui circule sur plusieurs blogs végétariens)

N’importe quel débat anti-pro-végétarisme ou spéciste-antispéciste fournit des perles du genre: nous n’avons pas évolué jusqu’au sommet de la chaine alimentaire pour manger des légumes, les animaux sont stupides, etc etc.

 

2) Les animaux aussi se mangent entre eux (ce qui prouve bien que c’est naturel, que c’est dans l’Ordre des choses)

 

« après tout, les fourmis sont des esclaves d’un seul individu, les lionnes sont exploitées sexuellement par un seul mâle, les éléphants vivent sous un régime matriarcal, etc. Les antispé anar devraient donc d’abord tenter de libérer les animaux de leur exploitation spécifique intra-espèce! » (lu sur un forum anarchiste; citation d’un certain abel chemoul)

 

« J’imagine en ce cas que vous ne défendez pas les dauphins (quand 2 bandes de dauphins se croisent, en plus de se foutre sur la gueule, les mâles violent les femelles adverses) ? Ni les chats, dont l’accouplement s’apparente aussi furieusement à un viol.* » (Encore une fois, citation d’un forum anarchiste ! Un certain roro dont la signature est: « La Nature n’a fait ni serviteurs ni maitres, c’est pourquoi je ne veux ni commander ni recevoir d’ordres. » Cocasse, non?)

 

L’absurdité ce ces raisonnements saute aux yeux quand on se rend compte que d’une part, les gens citent des exemples pris dans la nature pour montrer que la domination spéciste fait partie de l’ordre des choses; d’autre part, dans le même but, ils placent une frontière infranchissable entre l’Homme et l’animal, le premier étant supérieur au second. D’ailleurs, la personne qui écrit ceci:

« Nous sommes au sommet de la chaîne alimentaire (…) »

Ecrit aussi dans le même message, un peu plus haut:

« on ne demandera pas à un lion de s’abstenir de nous manger, on tentera de ne pas croiser son chemin. »

 

Nous sommes donc au sommet de la chaîne alimentaire tant qu’on ne croise pas le chemin du lion. Edifiant.

 

D’ailleurs, en règle générale, le respect de l’Ordre du monde est dans toute les mentalités tant que cet ordre nous place au sommet de la hiérarchie des espèces. Les chasseurs nous bassinent avec l’écosystème dont ils font étroitement partie via la chasse (y compris le plomb qu’ils balancent dans les zones humides et autres canettes de bière dans la forêt), mais dès que l’un d’eux a un accident, qu’il tombe d’une falaise ou d’un arrêt cardiaque dans un champ de betterave à l’âge de 52 ans (merci le cholestérol), là il n’y a plus de « mort qui fait partie de la vie », de « c’est la nature »: c’est un drame et puis c’est tout.

D’ailleurs, voyez comment ce pauvre roro cité plus haut, anarchiste révolutionnaire, redevient un bidochon lambda quand la question de la domination spéciste arrive sur la table.

 

Mais bref, ce n’est pas là mon propos. J’admire la façon dont les gens acceptent les hiérarchies quand celles-ci les placent en haut, mais je souhaite aller plus loin dans mon propos.

 

3- Impossibilité de changer l’Ordre du monde

 

Hé oui, de toutes façons, on ne peut pas changer l’Ordre du monde, on est donc forcés de Lui obéir.

On trouve ainsi des arguments tels que:

« Il faut bien vivre dans des conditions « normales », des cnditions que la nature a faites de telle sorte que ça se passe comme ça. »

ou encore des points plus précis qui rendraient impossible l’arrêt de l’exploitation animale:

« mais si des animaux sont tués en masse c’est bel et bien pour sauver des vies humains ! On dirais que certains aiment plus nos amis les bêtes que nos frères les Hommes. En ce qui concerne l’Amazonie, si tu veux faire des champs afin de distribuer des céréales au Monde afin qu’il devienne végétalien saches que l’Amazonie sera détruite deux fois plus vite qu’a l’allure actuelle.) »

(citations relevées au hasard sur la toile dans des débats sur le végétarisme)

Ou encore, citation du même abel chemou du forum anarchiste:

« Et puis l’antispécisme pose des questions écologiques: si on arrête « d’exploiter » les animaux de ferme, on en fait quoi? le fait est que ces animaux n’ont plus de prédateurs naturels depuis des millénaires. Le seul facteur de régulation des animaux d’élevage, c’est nous! Si on décide qu’ils ont droit à la liberté, on va vers un massacre écologique pour le reste de la faune et de la flore par surpopulation, tout simplement. » ¨***

 

Notez au passage la faiblesse de l’argumentation à ce stade: Nous devons continuer d’exploiter et de tuer les animaux parce que, au choix, si nous ne le faisons pas l’amazonie va être détruite**, les éleveurs vont être au chomâge, et nous serons envahis par les vaches qui détruiront les forêts***.  Ce très soudain souci de « ce que nous allons bien pouvoir faire de toutes ces vaches », qui m’avait tant surpris à une époque comme je le raconte dans mon article sur les contradictions carnistes, n’est plus si étonnant que ça quand on le comprend comme l’expression d’une résistance, d’une peur face à un bouleversement de l’ordre du monde. Ces gens se fichent bien de la forêt amazonienne, si ce n’était pas le cas ils se renseigneraient suffisamment sur l’écologie pour arriver au constat évident que l’élevage est une catastrophe écologique, de par la déforestation, les besoins monstrueux de l’élevage en surface terrestre, les gaz à effet de serre, la gabegie en eau (pour abreuver et nettoyer les animaux mais surtout pour faire pousser de quoi les nourrir), et en ressources diverses, la pollution des nappes phréatiques, etc etc. S’ils se fichent de l’écologie, ce n’est pas la terre qu’ils défendent, mais l’Ordre du monde qui lui est associée. La différence peut n’être pas évidente à cerner, car pour beaucoup, l’Ordre du monde est représenté par la Nature, entité idéalisée et personnalisée en pseudo-divinité, qui aurait une volonté; une sorte d’avatar de Dieu pour les non-croyants (ou ceux qui se croient non-croyants !).

 

Je ne souhaite pas ici faire une liste exhaustive des types d’arguments qui visent à défendre l’Ordre du monde tel qu’il est. Je pense que mon propos est clair, et ces citations donnent un aperçu à peu près représentatif de la façon dont les carnistes, soit défendent l’Ordre du monde, soit se défendent de faire quelque chose du mal en se justifiant par l’obéissance nécessaire à l’Ordre du monde; qu’on ne peut pas changer, de toutes façons.

 

Car c’est cela qui est bien pratique avec l’Ordre du monde: c’est lui qui est responsable. S’en remettre à la Nature, à Dieu ou à l’Ordre du monde,, c’est ne plus être coupable, puisque de toutes façons, les choses sont ainsi, ainsi va la vie, dont la mort fait partie, etc…

 

Mais malgré les injustices flagrantes relevées dans la Nature, il arrive que des gens, tout à fait normaux et intelligents par ailleurs, se transforment soudain en fervents défenseurs de l’Ordre du monde. Tels les passants lamba qui se transforment en agents dans la Matrice, ils vont soudain se mettre à défendre l’Ordre, disant qu’il est très bien comme ça (et que de toutes façons on ne peut pas le changer).

Ce n’est pas par hasard que j’ai cité un certain nombre de membres d’un forum anarchiste pour appuyer mes dires. Voyez comme ces fervents révolutionnaires, qui disent vouloir une société libre où chacun est son propre maître, et basée sur le respect de chacun des droits d’autrui, se transforment soudain en fervents défenseurs d’un Ordre naturel auquel nous devons obéir, qu’on ne peut pas changer sous peine de subir une sorte de châtiment divin, et dans lequel les uns dominent et font souffrir les autres parce qu’ils le peuvent****.

 

Si vous êtes végétarien ou végan, même depuis peu, ou simplement si vous avez déjà discuté de végétarisme, vous avez eu sans doute eu une impression de déjà-vu quand vous avez lu les quelques arguments que j’ai cité. C’est que ce discours est totalement formaté, c’est le même partout. Quelques modalités changent, le rendant plus ou moins stupide, plus ou moins caricatural. N’importe quelle personne intelligente et ouverte d’esprit peut vous sortir ce même discours, et ce sera le même discours que dans la bouche du premier crêtin venu, avec parfois même des similités de vocabulaires qui peuvent surprendre de la part de personnes n’ayant rien à voir les unes avec les autres. C’est ainsi que l’anarchiste révolutionnaire dira à peu près la même chose que le premier beauf venu ramassé au café du commerce. C’est comme si les gens se faisaient défenseurs d’une logique extérieure à eux, comme s’ils laissaient un discours étranger passer par leur bouche, comme s’ils se transformaient en robots diseurs de la Pensée Unique.  D’ailleurs, on peut parfois le remarquer à la façon dont ils prennent la parole rapidement : ils ne réfléchissent vraiment pas avant de parler, ils se mettent d’embler à défendre le Système, à recracher un discours préformaté. Parfois avec agressivité: attention, on attaque le système!

 

Cet automatisme, je l’ai eu moi aussi, la première fois que j’ai rencontré un discours antispéciste. Mais enfin, la Nature est comme ça ! Et je peux vous dire qu’à ce moment-là, au niveau cérébral, c’est le degré zéro de la réflexion. Ce n’est qu’ensuite que les gens se mettent à réfléchir, mais la plupart du temps, ils ne réfléchissent pas à l’antispécisme, aux thèses qu’on leur expose, mais à ce qu’ils vont bien pouvoir dire pour défendre le système tel qu’il est. (Et c’est là que, souvent, les perles jaillissent).

 

Pourquoi cet automatisme? Pourquoi se faire tout à coup défenseur d’un Ordre qu’on subit? Parce que cet ordre a eu le bon goût de nous avoir placé en haut de la hiérarchie des êtres? Peut-être, mais pas seulement. Je pense qu’il y a là une expression de l’état agentique dans lequel les gens se trouvent être dès que l’on aborde le sujet de l’antispécisme et des conséquences qui découlent de cette idéologie. J’ai déjà brièvement évoqué les expériences de Milgram et le parallèle qu’on peut faire avec la consommation de viande. J’y reviendrai dans mon prochain billet.

 

 

 

*Bien que l’argument soit ridicule, je m’empresse de préciser, pour la culture, qu’il s’agit d’anthropomorphisme, le viol n’existe pas chez les chats. L’acte sexuel serait douloureux pour la femelle du fait d’épines implantées sur le pénis du mâle et dirigé vers l’arrière et blessent le vagin lors du retrait, ce qui fait augmente l’agressivité de la chatte qui peut s’en prendre violemment au mâle après le coït. Cela n’empêche pas la chatte de continuer à rechercher l’accouplement pendant ses chaleurs. De plus, l’impression de viol peut être augmentée par le fait que les mâles ont développé un comportement qui consiste à attraper la femelle au niveau de la nuque par la gueule; cela permet de provoquer un réflexe inné bien connu chez les chats, qui ont tendance à se calmer quand on attrape la peau de leur nuque comme la mère pour transporter ces chatons. Bien que ce réflexe soit très diminué chez le chat adulte par rapport au jeune, il permet au chat d’augmenter ses chances de fécondation. Pour en savoir plus sur ce sujet, lire par exemple « le chat révélé » de Desmond Morris.

D’une façon générale, le viol n’existe que très rarement chez les animaux, la femelle doit être receptive et accepter l’accouplement pour qu’il ait lieu, même chez les espèces où le mâle est physiquement plus imposant. Le viol existerait chez certains groupes de dauphins mâles, mais c’est ici très déformé et exagéré.

 

**Je ne prend pas la peine de contredire ces arguments tellement ils sont nuls, néanmoins sachez que la viande et le soja destiné à l’alimentation du bétail sont les produits les plus exportés du Brésil juste après les agrocarburants, et une cause majeure de déforestation. n’importe quelle visite sur un site végétarien comme celui de l’AVF vous renseignera sur la catastrophe écologique que représente l’élevage.
***Je ne résiste pas au plaisir de citer un certain willio qui répond à l’argument d’abel chemoul:

« Ouais en fait on aimerait bien arrêter de massacrer des animaux mais on va vers un désastre écologique sinon… On est contraints de les exploiter, c’est pas de chance. Tu sais qu’on risque aussi d’aller vers une catastrophe écologique et humanitaire avec le développement démographique de la Chine. On devrait sûrement prendre des mesures similaires pour réguler la population non ? « 

 

**** Attention, je n’ai rien contre les anarchistes, bien au contraire, mais selon moi l’anarchie implique nécessairement l’antispécisme, car si l’on veut abolir la domination des uns sur les autres, on doit nécessairement faire entrer les animaux dans la sphère des sujets de droit; lire à ce sujet Un Eternel Treblinka, de Charles Patterson.

 

Dans l’expérience de Milgram, le cobaye est poussé à une obéissance à des ordres qu’il réprouve intérieurement. La particularité de cette obéissance est qu’elle semble, du moins en apparence, être choisie librement par l’individu, puisqu’elle n’entraine aucune récompense concrète (argent ou autre) pas plus que la désobéissance n’entraîne de punition.

 

Ci après, un extrait du site de psychologie sociale:

 

 

Image
Milgram nous dit que l’individu passe de l’état autonome (on est déterminé de l’intérieur) à l’état agentique (l’individu se sent comme un rouage d’une volonté qui est extérieur à la sienne)

Comment se fait ce passage et quels sont les facteurs de maintenance ?

Conditions préalables générales :
  • La famille
  • Le cadre institutionnel
  • Les récompenses

Conditions générales spécifiques :

  • Il faut que les sujets perçoivent l’autorité comme légitime (…)

Façons de résoudre les tensions :

  • La dérobade comme si on n’entendait plus les cris de l’autre
  • Les manifestations psychosomatiques
  • La désapprobation ; « je ne suis pas d’accord » mais je le fais quand même
  • La  désobéissance qui ramène à l’état autonome

Facteurs de maintenance dans l’état agentique :

  • La continuité de l’action ; « la main dans l’engrenage »
  • Contrat moral, règles du jeu

Mais d’où l’expérimentateur détient-il son pouvoir ?

Il n’a aucun réel moyen de coercition.
Le pouvoir est une notion éminemment politique et il faut se tourner vers les appareils idéologique d’état : Ensemble d’institutions publiques et privées qui élaborent, inculquent le système de norme et qui a pour fonction la reproduction des rapports sociaux existants.

Pour conclure, l’individu est en fait habitué à obéir et à recevoir des récompenses pour cela que ce soit dans le domaine scolaire, familial ou professionnel. La société inculque à l’enfant et dès son plus jeune âge un profond respect de l’autorité.

 

 

L’obéissance est donc le résultat d’un ensemble complexe de facteurs éducationnels.

 

Comme je le disais en commentaire de l’article sur le Naturalisme et la B12, le choix de consommer de la viande est à la fois choix et non-choix. Il est choix parce qu’il découle d’une idéologie (comme le fait notamment remarquer Mélanie Joy). Et il est non-choix parce que cette idéologie n’est pas réellement celle de ceux et celles qui la défendent. Du moins, les gens ont intégré cette idéologie, chacun en a fait sienne; mais c’est une idéologie qu’on leur a enseignée, et non pas à laquelle ils ont réfléchi. Ils l’ont avalée passivement et peuvent la recracher telle quelle sans aucune modification sur le fond.

 

Aussitôt qu’on se met à les remettre en question le spécisme et les conséquences qui en découlent (exploitation des animaux, etc), les gens se découvrent comme obéissants à ce système depuis toujours, bien que ce ne soit généralement pas conscient. Ils portent du cuir, ils mangent de la viande, etc. Aussitôt le sujet abordé, ils vont faire principalement deux choses:

1) S’ôter toute responsabilité en se référant à cette autorité suprême qu’est l’Ordre du monde et qui les fait agir d’une certaine façon

2) Justifier de la légitimité de l’Ordre du monde (ou de la Nature) pour nous dicter nos actes

 

Ainsi, ils ne sont pas coupables de tuer des animaux, puisqu’ils ne font qu’obéir à un Ordre auquel on ne peut pas désobéir. Le 2) peut être subtil, il faut souvent tendre l’oreille pour entendre le discours caché. Certaines personnes se contentent du 1), se justifiant de leurs actes (manger de la viande, etc) par le fait qu’ils obéissent à « leur nature » ou à l’Ordre du monde, mais certains vont également défendre cet Ordre de plusieurs façons: défendre la « civilisation humaine » telle qu’elle se construit en dominant les animaux, idéaliser cette Nature qui est si parfaite et harmonieuse et dans laquelle les animaux se mangent entre eux et nous aussi, etc.

 

Et, même si le meurtre des animaux permet d’entretenir une domination à laquelle les gens ont du mal à renoncer, il est tout de même générateur d’une certaine tension. Chacun se débrouille comme il peut avec, la façon la plus radicale étant bien sur de devenir végétarien.

 

Il est d’ailleurs assez éloquent de constater la façon dont les végétariens adorent parler de végétarisme alors que les omnivores ont plutôt tendance à fuir ce genre de débats. J’ai toujours eu l’impression que quand le sujet du végétarisme arrive sur la table, les omnivores passent un moment vaguement pénible. On n’en parle jamais bien longtemps. Beaucoup se mettent en colère sans raison apparente, appelant à la tolérance même quand aucune remarque intolérante n’a été faite. Couper court au débat permet de ne pas y penser (je me souviens bien qu’à une époque j’évitais soigneusement de penser à la viande, et pourtant j’en mangeais!) mais comme dans l’expérience de Milgram, les gens ont plusieurs stratégies pour soulager la tension qu’ils ressentent vis-à-vis de la viande.

 

Nier l’injustice que représente cet Ordre du monde dans lequel les gros mangent les petits, cela revient finalement à ce qui est appelé « dérobade » ci-dessus (sur psychologie-sociale.com). En effet, ce type de réponses est décrit dans les expérience de Milgram, et on peut très bien le voir dans le documentaire « Le jeu de la mort », les gens se comportent parfois comme s’ils n’entendaient pas les hurlements de douleur de la personne censée subir les chocs électriques qu’ils lui administrent, allant même jusqu’à parler en même temps qu’elle, ce qui, si l’expérience était réelle, l’empêcherait d’entendre les questions et donc la ferait souffrir encore plus. Ce comportement peut être mis en parallèle avec celui qui consiste à nier la cruauté de la façon dont on traite les animaux. Cela peut aller de « les animaux n’ont pas de conscience », à « les vaches ne souffrent pas » en passant par « la mise à mort est toujours indolore » (ben voyons).

Cette négation va facilement jusqu’à l’absurdité, laissant aux antispécistes la tâche de démontrer que les animaux ont une conscience et qu’ils souffrent. Or, c’est une évidence. Comment ne pas mettre en parallèle la question « les animaux souffrent-ils » avec d’autres que l’on a posées de la même façon à certaines époques, du type « les Noirs/les juifs font-ils partie de l’humanité » ou encore « les femmes ont-elles une âme »? J’ai entendu des chercheurs en comportement travaillant sur les émotions des animaux se demander à haute voix si ces derniers pouvaient souffrir. Absurde.

 

Mais, comme dans l’expérience, les gens peuvent aussi utiliser la désapprobation pour résoudre leur tension: « je ne suis pas d’accord mais je le fais quand même ». Donc en ce qui concerne l’exploitation des animaux : « c’est vrai, c’est cruel, mais c’est la vie », « de toutes façons, on ne peut pas changer le monde », etc. C’est plus difficile à tenir comme position, car on a alors à admettre qu’on se plie à un système injuste. C’est pourquoi les gens qui choisissent cette stratégie coupent assez rapidement la discussion: « arrête, tu vas me couper l’appétit ». « Il vaut mieux ne pas savoir, de toutes façons ».

 

Certains cobayes de l’expérience essaient aussi de tricher en donnant des décharges éléctriques plus basses que ce qu’ordonne l’expérimentateur… La viande bio et le bien-être animal font-ils partie de ce type de triche? Quand on constate que ce sont souvent les partisans du bio et du bien-être qui sont le plus virulents pour défendre l’Ordre naturel et la consommation de viande qui en découle, et du système d’exploitation des animaux en général, ça fait réfléchir.

 

3- L’Ordre Naturel comme autorité ?

Evidemment, l’Ordre naturel n’explique rien en réalité, puisque ce sont les gens qui, individuellement mais surtout collectivement, décident de manger de la viande. La consommation de viande est une norme culturelle, sociale, et non pas une norme naturelle ou universelle.

C’est pourquoi, dans les arguments que j’ai cités la dernière fois, on peut lire entre les lignes un amalguame entre la société humaine et la Nature. Il est aussi beaucoup plus difficile de dire « j’obéis à la société » que « j’obéis à l’Ordre naturel des choses » (surtout pour un anarchiste !).

 

La Nature, idéalisée, fantasmée, personnalisée, est pour beaucoup de gens une autorité très légitime, plus légitime que la société humaine ou même que la norme sociale. Cette dernière n’est que le fait des autres humains; et donc, dire « j’obéis à la norme sociale », ça revient à dire qu’on fait comme tout le monde comme un mouton*, ce qui est très dévalorisant dans une société qui privilégie l’individualisme et la domination; alors que « j’obéis à l’Ordre naturel », « à la Nature qui m’a fait carnivore » ou encore « a Dieu qui a créé les animaux pour que l’Homme les mange » (et les femmes pour porter les bébés), font référence à des autorités auxquelles on ne peut que se soumettre.

 

Evidemment, l’Ordre naturel n’existe que dans l’éducation et dans le cerveau des gens qui le défendent. Car aucun Ordre, aucune Nature personnifiée, aucun dieu ne « veut » que je mange de la viande**. Seule la société nous y pousse, et encore, il n’est pas si difficile de résister. La Nature, l’autorité la plus à la mode pour nous dicter  notre comportement, n’est pas une entité possédant une volonté et à même de nous dicter nos actes et de nous punir si nous désobéissons. Pourtant, beaucoup de gens ne font que s’appuyer sur l’existence d’une telle entité pour justifier leur consommation de viande, les punitions allant d’une mort prématurée à une vie artificielle et dénuée de plaisir, en passant par la destruction de l’environnement (parfait non-sens d’ailleurs).

 

Tout ceci jette un éclairage sur un argument apparemment absurde et sans consistance mais très souvent utilisé, notamment dans des publications de l’INRA sur le bien-être animal ou dans les milieux professionels en général: on peut utiliser les animaux parce qu’on le fait. Dans la citation suivante, les auteurs vont jusqu’à reconnaître que l’antispécisme est cohérent, mais le rejettent parce qu’en l’acceptant, on devrait renoncer à l’exploitation des animaux.

« [p]our rigoureuse qu’elle soit, cette argumentation [de Peter Singer] ne saurait caractériser (ni régler) les rapports établis entre les hommes et leurs animaux domestiques. L’élevage, en effet, est une relation hiérarchique. S’il implique (comme nous allons le voir) que les animaux domestiques fassent l’objet d’une considération morale, il exclut que l’on pose l’égalité entre les intérêts des hommes et ceux des animaux dont ils prennent soin. »

(Cité par David olivier ici)

Autrement dit,le système existe, on doit donc lui obéir.

 

On voit ici encore une fois à quel point l’argumentation spéciste se réfère à des idéologies soit mystiques ou délirantes, soit dissimulées (dissimulées en particulier dans des publications scientifiques censées rester rationnelles, qui ne peuvent se permettre d’en appeler à Dieu / Nature / Ordre / Jehova / Allah / etc pour justifier les pratiques spécistes); tandis que l’antispécisme est basé sur des faits et utilise des arguments rationnels.

Des expressions tel que « animal non humain » sont d’ailleurs très mal digérées par les anti-antispécistes. Elle ne fait pourtant que remettre les choses à leur place, puisque c’est un fait scientifique que les humains sont des animaux.

 

Une dernière citation, juste pour rire. Leo du forum anar nous apprend que:

« Si les humains sont des animaux, ont ne voit pas pourquoi certains prennent la peine d’écrire, de donner des avis, d’animer un forum ou un collectif, et globalement, au niveau de l’espèce humaine, font des milliards de choses différentes… et pas les animaux !
Les animaux, ont-ils un avis sur eux-mêmes et sur le monde ? Parlent-ils, font-ils de la musique, de la peinture. Du feu ? Etc…
C’est une croyance, une « foi ». Dire : les hommes sont des animaux, c’est comme dire : Dieu existe.
Et face à la « foi », on est toujours désarmé car les arguments n’ont pas d’effets : celui qui veut absolument que Dieu existe, il lui suffit de la faire exister (en parole).
Et le plus drôle, c’est que la possibilité même de croire, d’avoir la foi (en Dieu ou en l’animalité de l’homme) fait partie des attributs humains, et non des animaux ! »

 

Bel exemple de négation de la réalité, dans lequel on apprend que le fait que les humains soient des animaux n’est pas un fait scientifique mais une croyance. M’aurait-on menti à la fac?

(J’aime bien cette citation: amusez vous à replacer « les hommes sont des animaux » par « les chats sont des mammifères » ou « 2+2=4″ ou encore « Tachkent est la capitale de l’Ouzbékistan ». Vous pourrez ainsi passer d’agréables moment à rire, seul, en famille ou entre amis. De rien.)

 

Bref, pour résumer l’idée en une phrase, la défense irrationnelle de la consommation de viande pourrait correspondre à l’expression d’un état agentique face à l’autorité incarnée par une entité mystique, appelée Dieu, la Nature, l’Ordre du monde, ou autre.

Pas étonnant donc qu’on entende autant de conneries et qu’on en lise encore dix fois plus sur la toile.

 

* Pardon aux moutons pour l’expression spéciste, mais c’est ce que tout le monde dit! … Parfois je me demande s’il ne faudrait pas dire « comme un humain ».

 

** Une conception spirituelle de l’univers proche de la mienne impliquerait au contraire de s’en abstenir, mais contrairement aux spécistes, je n’utilise pas cet argument qui ne regarde que moi, car j’ai des arguments rationnels pour défendre l’antispécisme et je m’en sers. D’ailleurs, une référence à quelque chose de mystique ne saurait en aucun cas constituer un argument pour quoi que ce soit.

 

via : lesquestionscomposent.fr

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