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  • L'Ile de la résurrection

     

    "C'est un beau jour pour mourir"

    C'est une phrase que nous connaissons tous, tirée d'un film, d'un proverbe amérindien ou les deux, qu'importe...

    En 2005, l'année de mes  33 ans, je demeure là, sonnée, la tête en bas avec une sensation de vertige au bas du volcan Snaeffelsjokull.

    Après trois tonneaux, la ceinture de sécurité me maintient comme crucifiée et compriment les os de mes hanches.

    A mes cotés, à la place qu'on qualifie du mort, se trouve mon ami d'enfance Jean-Luc, heureusement bien vivant malgré qu'il ait percuté la tête contre le parebrise.

    Silence. "Nadia, ca va ?" "Oui, nous sommes vivants, on dirait".

    Je décroche la ceinture et mon corps retrouve sa gravité naturelle, puis pousse la portière conducteur qui résiste contre la mousse ancestrale.

    Un interstice suffisant me permet de me faufiler dehors et de dégager la portière de Jean qui retrouve la position verticale.

    Je n'ai qu'une égratignure à la main, Jean-Luc, qui n'avait pas bouclé sa ceinture s'en tire avec une bosse mais ne semble pas blessé.

    Nous sommes seuls comme on peut être seul sur la lune.

    L'astre solaire est à son apogée, je ne me souviens plus de l'heure ; la luminosité ne cesse jamais au mois de juin au pays des Vikings.

    Au loin, un paysage plat à perte de vue, sans arbre et au loin cette montagne magique qui fascinait déjà Jules Verne qui la considérait comme une porte menant au centre de la terre mais également comme le centre cosmique de l'univers pour les bouddhistes

    Plus tard, j'ai pu lire une interview d'un auteur Français Jean-Michel Roux qui comparait la puissance spirituelle protectrice de ce volcan/glacier au Mont Bugarach.

    Ainsi j'appris que c'est le seul volcan d'Islande qui d'après une saga du XIVème siècle, était la demeure d'un dieu Bardur, un des premiers colons vikings qui vécut au IXème siècle. A sa mort, il se réfugiât dans la montagne pour devenir son esprit protecteur.

    Beaucoup d'islandais, peuple passionné par l'invisible prétendent communiquer et voyager avec Bardur.

    A l'époque, il existait encore des parcelles de la route n°1 qui fait le tour de toutes les côtes islandaises inachevées et parsemées de gravier.

    Quelques mètres avant la fin de l'asphalte, nous avions loupé le panneau indiquant le changement, car préoccupés par un crachin de pluie soudain, quoique habituel sur cette ile, nos quatre yeux restèrent rivés sur le tableau de bord à chercher comment mettre en marche les essuies glace.

    Le ciel pleurait quand même à 60 km/heure, les graviers se transformèrent en patinoire et mes poings n'ont pu retenir le volant. Puis le manège improvisé du véhicule, tantôt sur les roues, tantôt sur le toit.

    Pendant ces quelques secondes, la seule pensée qui me vint, fut "Seigneur, faites que même si je meurs, je ne tue pas Jean-Luc."

    Je fus exaucée.

     

    Ainsi, nous sommes seuls à coté de notre voiture détruite. Toutes les courses alimentaires que nous venions d'acheter au supermarché Bonus, ainsi que nos affaires personnelles ont jailli du coffre pour se disséminer à plusieurs mètres du véhicule.

    Aucune trace de vie humaine visible à l'horizon, pendant un temps qui nous semblait sans fin.

    Jean-Luc, de rage, donnait des coups de pieds à l'épave.

    Cela fit arriver un véhicule à l'horizon, que nous attendions comme un marin échoué en mer. Un couple d'américains vint à notre rencontre, s'inquiétant de notre santé  et appelant les secours.

    La police fut rapidement sur les lieux, amassant nos affaires dans de gros sacs poubelles noirs : "You are very lucky".

    Nous nous retrouvâmes dans un hôtel confortable avec petit déjeuner inclus dans la "ville" la plus proche Olafsvik.

    Il faut savoir ce que signifie "ville" au pays des elfes ; 70% des habitants de l'ile vivant à Reykjavik, les "villes" comportent juste le strict nécessaire : une station service  faisant office de snack/restaurant, une banque et une église.

    La banque se situait juste en fac de la fenêtre de notre chambre et ce détail a son importance.

    Ainsi que la présence à proximité de l'office de location où nous attendait une voiture flambant neuve, à condition de payer la forte somme de franchise après notre accident.

    La proximité de la banque me semblait une chance : tout allait se régler rapidement après avoir retiré la somme demandé, nous convînmes je m'en chargerais et que Jean-Luc me rembourserait au retour.

    Cependant, j'avais occulté que ma carte bancaire à débit limité ne me permettait pas de retirer autant d'argent en si peu de temps, d'autant que l'argent liquide dont nous disposions encore suffisait juste à payer les nuitées d'hôtel.

    Je me chargeais de négocier avec mon anglais approximatif avec une employée de la banque très compatissante qui me permit de contacter ma conseillère bancaire à Paris.

    La pression montait entre moi et mon ami Jean-Luc qui tournait en rond en fumant dans la chambre, envisageant les possibilités les plus catastrophiques : quitter en douce le pays, être arrêtés à la frontière et terminer en prison.

    "Les islandais ne rigolent pas avec ça."

    Nous étions aussi fauchés que les arbres de l'ile, nous nourrissant du petit déjeuner inclus et dissimulant quelques brioches pour tenir la journée.

    Il y eut un premier jour, un second puis un troisième. La vision constante de la banque devenait un cauchemar.

    Le dernier jour, pour nous changer les idées ou trouver le salut miraculeux à notre cauchemar, nous eûmes envie de visiter l'église aux trois clochers de Olafsvik à 200 mètres de l'hôtel.

    L'atmosphère était étrange, sous le ciel noir, des oiseaux dont j'ignorais le nom, tournoyaient en poussant des cris de guerre et fonçaient sur nos têtes en perdant en altitude, comme dans le film "Les oiseaux" d'Hitchcock, qui, enfant me terrorisait.

    Nous courûmes la petite distance pour nous réfugier dans l'église qui était ouverte.

    Je n'ai jamais compris la raison de cette rage, peut-être le béret que je portais et qui pouvait de haut, ressembler à un œuf.

    En état de choc après l'accident, épuisée par ces jours de négociation sans espoir d'issue, je me sentais dans un état second, coupée de la réalité et ne pouvant plus réfléchir.

    Jean-Luc eut l'excellente idée pour évacuer ce stress post-traumatique de prendre le volant de notre nouvelle voiture pour rejoindre la côte et le ferry qui nous menait à l'ïle de Flatey où nous passâmes deux jours.

    Cette minuscule île sur la péninsule de Snaefellness n'excède pas deux kilomètres de long pour 1km de large, l'idéal pour se sentir en sécurité comme dans un cocon protecteur.

    Nous fumes hébergée par une femme d'une maison d'hôtes qui y vivait seule avec son fils d'environ 5 ans.

    Notre peu de maîtrise de l'anglais alliée à la sienne, nous plongeait dans un silence méditatif.

    Soudain, le petit garçon sortit un jeu de société que nous aimions particulièrement Jean-Luc et moi et qui ne nécessitait pas de parler : le jeu des petits chevaux.

    Quand mon dernier cheval bleu atteignit l'écurie, j'ai su que nous étions sauvés car vivants.

    Lors de mon dernier voyage sur l'ile magique onze années plus tard avec un groupe d'amis, j'ai refusé de prendre le volant ; je crois qu'il ne faut pas trop titiller Bardur pour une autre résurrection.

    Texte écrit en avril 2017