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  • Pour en finir avec le mythe de la pureté

    Un concept clé pour comprendre ce qu’est (ou ce que devrait être) le véganisme

    Le mythe de la pureté consiste à croire que le véganisme est une question de pureté individuelle.

    Croire au mythe de la pureté revient à faire du véganisme un problème purement personnel, puisque la pureté et l’intégrité d’un individu ne regardent que lui, un peu comme s’il s’agissait d’une attitude religieuse.

    Il est souvent le fait des gens qui critiquent le véganisme, mais aussi de certains véganes eux-mêmes. Ainsi, certains auteurs végétariens ou végétaliens, comme Antonella Corabi dans cet article, ont soumis des critiques constructives du véganisme, en mettant en avant ce thème de la pureté personnelle. Il apparait, à la lexture de ce texte, que la pureté personnelle est un vrai problème, qui freine la progression du véganisme.

    Cependant en le lisant, j’ai le sentiment qu’Antonella Corabi ne fait pas vraiment la part des choses entre ce qu’est (à ses yeux) et ce que devrait être le véganisme. L’article est intéressant car il met en lumière le fait que le véganisme est souvent présenté comme une question purement individuelle et personnelle, et en quoi c’est un problème. Et il a le mérite de rappeler que la question animale est une question de société, et que face à une question de société il est bon d’adopter une attitude politique.

     

    Le véganisme est une attitude politique, et non pas une attitude de pureté individuelle. Ou, si l’on préfère, le véganisme est la mise en pratique d’une position politique qui est l’antispécisme.

    Je dirais que le fait que je sois végane est le résultat de deux idées simples:

    -L’idée selon laquelle tous les êtres sensibles méritent l’égale considération de leurs intérêts (antispécisme)

    -L’idée que l’on doit incarner le changement que l’on doit voir dans le monde.

    Ces deux idées tiennent de la politique et non de la pureté individuelle ou des questions du type religieux ou sectaire. La deuxième fait peut-être référence à ce qu’on pourrait appeler l’intégrité; mais ce n’est pas une question de pureté. Simplement, je ne vois pas comment on peut changer le monde si l’on n’arrive déjà pas à se changer soi-même. C’est la réponse à « comment peut-on changer le monde? » et non pas « comment être pure et parfaite » ou autres fantaisies.

    Car je considère que les questions d’égo sont des fantaisies. Nous avons à nous occuper de choses beaucoup plus importantes.

    Etre végane, attitude politique vs comportement de consommation

    Qui est végane? Le citoyen ou le consommateur?

    Réduire le véganisme à une attitude de consommation est une erreur aussi grossière que de le réduire à une question de pureté individuelle.

    Et d’ailleurs, réduire le véganisme à une attitude de consommation revient automatiquement à l’assimiler également à une attitude de pureté. Car si le véganisme était une attitude de consommation, rien n’empêcherait un végane d’accepter, par exemple, de la nourriture contenant des produits animaux, si elle est offerte ou gratuite. Rien si ce n’est ce fameux et fumeux principe de pureté personnelle…

    C’est là une grosse incohérence dans les critiques contre le véganisme émises par le mouvement animaliste lui-même. D’un côté, on reproche au véganisme d’être apolitique et d’être seulement une attitude de consommation. De l’autre, on propose d’accepter certaines « exceptions » au végétalisme puisqu’on admet que ces exceptions ne changent rien, concrètement, à la demande pour des produits animaux, et donc au destin des animaux, par exemple dans le cas où l’on se voit proposer gratuitement des aliments non véganes. Ce n’est pas cohérent.

    Si je me contentais de ne pas acheter de produits animaux, alors le fait que je sois végane serait une attitude en tant que consommatrice. Mais je les refuse également lorsqu’on m’en offre. Et c’est justement parce que j’estime que l’utilisation ou la non-utilisation de produits animaux (et j’insiste sur le terme d’utilisation, et non d’ingestion, car je rappelle que le véganisme ne s’arrête pas à des questions d’alimentation), c’est une question qui fait appel à la responsabilité de chacun, mais aussi à l’idéologie de chacun. Avant d’utiliser un produit ayant nécessité l’utilisation d’un animal, je ne me demande pas « quelles vont être les conséquences sur ma prétendue pureté », ni « quelles vont être les conséquences directes de cette utilisation sur l’ensemble de l’exploitation des animaux ». Je me demande simplement si je suis pour ou contre l’utilisation d’animaux. C’est une question morale.

    Je ne dis pas qu’il ne faut jamais faire aucune exception et que les exceptions sont à montrer du doigt et à condamner. Ce que je dis, c’est qu’à chaque fois qu’on a l’occasion de se demander si l’on doit ou non utiliser un produit ayant nécessité l’utilisation d’animaux, on doit se demander si l’on est pour ou contre et ce que cela implique par rapport à ce que l’on doit faire. C’est aller beaucoup plus loin que simplement s’interroger sur les conséquences d’un achat sur la demande et l’offre de produits animaux. Et c’est totalement différent d’un concept de pureté.

    Je suis sure que, si j’y réfléchissais, je trouverais des situations où je pourrais être amenée à manger un produit animal. L’important est que je garde volontairement une attitude de rejet des produits animaux parce que je pense que c’est le devoir de quiconque se soucie des animaux, parce que cela correspond à la relation que je désire avoir avec les animaux, à la relation aux animaux que je voudrais dans la société que je voudrais. J’ai parfois consommé des produits animaux sans le vouloir et je ne m’en suis rendue compte qu’ensuite. Ca ne m’a pas empêché de dormir, j’ai simplement pensé « hé bien la prochaine fois, je ferais plus attention », ou même « pourtant, j’avais fait attention »…  Non, je ne me suis pas flagellée. Non, la culpabilité n’est pas mon moteur. La culpabilité n’a aucun intérêt, ce qui importe c’est de se poser les bonnes questions.

      »Prosélytisme »

    Ce que l’éducation au véganisme n’est pas

    L’erreur de voir le véganisme comme une question de pureté personnelle amène une autre erreur, celle de voir la promotion du véganisme comme une sorte de prosélytisme religieux.

    L’éducation au véganisme n’est pas du prosélytisme. Il ne s’agit pas de convaincre les gens que le véganisme est la meilleure chose pour eux, pour qu’ils se sentent bien. Il s’agit de leur en donner la possibilité, de les informer sur le fait que ce soit possible.

    Dans ce compte rendu des estivales de la question animale, il y a une critique qui m’a parfois été faite lorsque je proposais d’utiliser les ressources militantes en vue de l’éducation au véganisme.

    « la lutte contre l’esclavage des Noirs n’a pas consisté à demander à chaque propriétaire d’esclave s’il souhaitait renoncer à ses esclaves et boycotter tous les produits issus du système esclavagiste, mais plutôt à imposer sur la place publique la discussion sur le bien-fondé de l’esclavage et son abolition politique, collective »

    Bien sur, cette critique serait valable si nous demandions effectivement au gens s’ils souhaitent devenir véganes. Mais ce n’est pas ce qu’à mon avis nous devons faire. Nous devons informer les gens afin qu’ils sachent que l’on peut vivre sans produits animaux. Car ils ne le savent pas. Et comment pourrions-nous espérer une société sans produits animaux si les gens ignorent qu’ils peuvent vivre sans?

    Bien sur, l’esclavage a toujours eu des implications économiques fortes, et les anti-esclavagistes menaçaient l’économie. Mais je ne pense pas que les gens de l’époque étaient persuadés qu’ils allaient mourir ou être très malades ou malheureux s’il n’y avait plus d’esclaves. Si cela avait été le cas, il aurait fallu parvenir à ce que la majorité des gens se détrompent sur ce point, afin de vaincre l’esclavage.

    De plus, dans ce même compte-rendu, on reproche la distinction catégorique qui est faite entre « végétariens » et « véganes ». Certes, s’en prendre aux comportements individuels est une mauvaise approche, de toutes façons. Mais l’erreur est justement de distribuer les bons et les mauvais points en disant qui est un bon ou un mauvais militant selon le contenu de son assiette. Pour autant, on ne doit pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Le reproche légitime qui est fait à certains de se préoccuper de qui est un « vilain que végétarien » ou un « bon végane » ou un « mauvais végane » ne doit pas éclipser une préoccupation qui, elle, mérite qu’on s’y intéresse: que le véganisme est la meilleure voie à adopter si l’on veut défendre les animaux.

    Car si l’on veut reprendre le parallèle avec l’esclavage, il me semble, en lisant ce texte que beaucoup de militants pour les droits des animaux ne sont pas véganes et ne souhaitent pas spécialement le devenir. Or, c’est comme si les militants anti-esclavagisme avaient possédé des esclaves et n’avaient pas souhaité renoncer à leur utilisation. Car on peut dire que, d’une certaine façon, une personne ovo-lacto-végétarienne utilise des animaux-esclaves.

    Le but n’est pas de montrer qui que ce soit du doigt. D’ailleurs, je ne dis pas que les véganes sont exempts de toute exploitation envers qui que ce soit. Mais la caractéristique du véganisme, c’est de refuser l’exploitation tant que faire se peut.

    Le but de l’éducation au véganisme n’est pas de faire du prosélytisme, de montrer aux gens que nous avons raison d’être véganes ou encore que le véganisme va résoudre tous leurs problèmes. Il ne s’agit pas d’une confrontation d’opinion, les mangeurs de steaks contre les brouteurs de salade. Il s’agit de faire en sorte qu’être végane soit quelque chose de normal et de banal pour la majorité des gens. L’éducation au véganisme ne vise pas seulement à libérer les animaux de l’exploitation dont ils sont victimes, mais également les gens eux-mêmes qui sont persuadés qu’ils doivent exploiter les animaux, alors que la plupart d’entre eux désapprouvent le traitement infligé à ces êtres sensibles, ou le désapprouveraient s’il ne leur était pas soigneusement dissimulé.

    Le véganisme contre les véganes

    les véganes ne sont pas le sujet

    Lorsque je lis le compte rendu des estivales aussi bien que les textes d’Antonella Corabi et de Françoise Blanchon, je me dis qu’il y a un problème avec la vision du véganisme qu’on a aujourd’hui.

    Certes, les véganes eux-mêmes ne sont pas étrangers à cela. Le véganisme est souvent réduit à un problème d’identité. Comme cela a d’ailleurs été souligné aux estivales, former une communauté est aussi une étape possible vers un changement social, mais cela ne doit pas faire oublier l’essentiel.

    Car on parle des véganes, les véganes font ceci, les véganes font cela, mais on oublie au passage qu’ils ne sont pas le sujet. Ni les véganes, ni les végétariens, ni personne. Le sujet, c’est les animaux.

    L’important c’est pas les véganes, c’est le véganisme. Le véganisme, c’est refuser en pratique l’exploitation animale. C’est donc important. Que les véganes soient purs et parfaits ou chiants et moralisateurs, c’est vraiment le dernier de mes soucis. Le fait est que le véganisme est l’attitude la plus cohérent dès lors qu’on se préoccupe des animaux.

    Cela m’agace prodigieusement quand je vois que ce compte-rendu présente le véganisme comme une sorte d’idéal impossible à atteindre pour le commun des mortels. Le véganisme est ce vers quoi nous devrions tous tendre, du mieux que nous pouvons. Le reste n’est que blablas inutiles et branlette intellectuelle. Ce qu’on appelle, dans ce texte, le « terrorisme de la pureté » n’est autre qu’un ensemble de jugements individuels et de réactions à ces jugements, du fait de gens qui pensent que les autres doivent leur rendre des comptes, ou qu’ils ont des comptes à rendre aux autres militants. Ca n’a vraiment aucun intérêt. Nous ne devrions rendre de comptes qu’à nous-même, en nous positionnant par rapport aux premiers intéressés, les animaux.

    Si, au lieu de s’intéresser à nos égos, au lieu de se rendre des comptes les uns aux autres, au lieu de s’intéresser à qui est le meilleur militant, qui mérite les bons et mauvais points… Si au lieu de ça nous nous demandions ce qui est le mieux pour les animaux et quels sont les moyens les plus efficaces de parvenir à leur libération, alors nous verrions qu’une des choses les plus importantes à faire est de promouvoir le véganisme. Et la grossière erreur de ce compte-rendu n’aurait pas été commise. Je fais allusion au fait que, dans ce texte, le véganisme soit présenté comme quelque chose de marginal, de difficile, d’extrême, de réservé à une élite… Présenter le véganisme de cette façon est, à mon avis, une entrave à la libération des animaux.

    Le véganisme apparait parfois comme difficile ou impossible parce que nous vivons dans une société qui est basée sur l’exploitation des animaux. Mais en réalité, si l’on s’affranchit de certaines peurs et idées préconçues, être végane n’est ni impossible, ni difficile. Il ne s’agit pas d’un idéal à atteindre. Il s’agit tout simplement d’essayer de vivre en refusant l’exploitation des animaux et de participer à cette exploitation. Il n’y a pas de comptes à rendre, il n’y a pas de bons ou de mauvais points à distribuer, il n’y a pas de degré de pureté personnelle à fixer. Il y a simplement à se poser les bonnes questions.

    Une fois qu’on a décidé de surmonter ces difficultés, elles apparaissent comme dérisoires. Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’existent pas, ou que les gens sont idiots de les voir comme importantes. Simplement, être végane est beaucoup, beaucoup plus facile que ce qu’imaginent la plupart des gens – et même au sein du mouvement animaliste, comme le compte-rendu des estivales le suggère.

    On ne devrait peut-être même pas dire « être végane ». Mais c’est plus court que si on disait: « être contre l’exploitation des animaux et mettre cette idéologie en pratique »… Car le véganisme n’est rien d’autre que cela.

    via : lesquestionscomposent.fr

  • Pour en finir avec le cri de la carotte

    Au fait, avez-vous remarqué? Les carottes ne crient pas.

    Parfois, enfoncer ce qu’on croyait être des portes ouvertes peut mener à d’intéressantes conclusions.

    Donc, les carottes ne crient pas.

    Pourquoi l’agneau crie-t-il quand on l’égorge, alors que la carotte reste résolument muette?

    D’ailleurs, les animaux ne font pas que crier, ils essaient de s’enfuir ou de se défendre, alors que cette idiote de carotte reste résolument plantée dans le sol et se laisse cueillir, puis découper, sans émettre la moindre protestation.

    Quelle imbéciles ces carottes. Après elles s’étonnent de se faire manger… Ha ben non, elle s’étonne pas: c’est une carotte.

    Oui mais… Les plantes sont vivantes !

     

    Voilà un sujet épineux duquel j’évite généralement de discuter quand quelqu’un met le sujet sur la table uniquement pour défendre sa consommation de viande. « Toi aussi tu manges des êtres vivants, alors laisse-moi tranquille! ». Oui, mais il faut beaucoup plus de plantes pour faire de la viande que pour se nourrir directement de plantes! Bizarrement, cet argument ne porte pas, et la très soudaine préoccupation de la souffrance des végétaux disparait aussi vite qu’elle est apparue, pour laisser place à des sujets cruciaux du genre « le goût de la viande contre celui des betteraves » ou « les végétariens sont pâles et maigres » (ha bon).

    Notons aussi que les gens qui sont si prompts à comparer une vache à une carotte s’offusqueront si vous osez comparer un humain à une vache. Tout comme les esclavagistes assimilaient les Noirs aux animaux et prétendaient que la race blanche était la plus humaine alors que les autres races étaient « plus proches des animaux », (voir un petit aperçu de ce raisonnement sur ce blog: déshumanisation), les spécistes assimilent les animaux aux plantes en prétendant que les humains sont « moins des animaux que les autres animaux », ce qui est une idée tout aussi farfelue. Quand on y regarde de plus près, c’est exactement le même raisonnement.

    Donc 99% du temps, les gens évoquent ce sujet simplement pour ne pas être les méchants mangeurs de viande face aux gentils végétariens (préoccupation totalement sans intérêt puisque je me fiche bien de savoir si les gens sont méchants ou non, et d’ailleurs les animaux maltraités et tués se fichent également de savoir si les gens qui les mangent son méchants, ignorants ou je ne sais quoi). Mais pourtant, c’est un sujet potentiellement intéressant. Car il soulève le problème du critère d’attribution de droits à un être vivant, qui comme nous allons le voir, est loin d’être définitivement réglé.

    lapincarotte.jpg

    1- Dans une pespective antispéciste, les animaux sont-ils tous des sujets de droits?

    L’antispécisme implique de traiter tous les êtres de façon juste, quelle que soit leur espèce. Si le spécisme établit une frontière inamovible entre certaines espèces et d’autres, (humain / non humains, mais aussi animaux de compagnie / animaux de boucherie qui n’ont pas les mêmes droits), l’antispéciste reconnait au contraire une continuité entre les espèces, et s’efforce de traiter chaque individu de la façon la plus adéquate en fonction de ses caractéristiques biologiques et non pas de l’espèce à laquelle il appartient.

    Pourtant, si le concept d’espèce n’est pas clairement établi d’un point de vue scientifique(1) , il est néanmoins clair que l’appartenance à une espèce peut avoir une certaine importance, en ce qu’elle implique nécessairement certaines caractéristiques de l’individu. Il est peu probable qu’une poule puisse jamais exercer un droit de vote… Pour donner un exemple moins caricatural, certains philosophes antispécistes accordent une importance particulière à la conscience de soi et accorderaient des droits particuliers aux animaux qui ont cette capacité, comme les chimpanzées et les grands dauphins (2). Un chimpanzée aurait donc des droits particuliers, non pas parce qu’il appartient au groupe « homonidés » ou à l’espèce « chimpanzées », mais parce qu’il fait partie des êtres ayant conscience d’eux-mêmes.

    La nuance est importante parce que tous les membres du groupe « chimpanzée » n’ont pas nécessairement conscience d’eux-mêmes; Tout comme les membres du groupe « humains » ne sont pas forcément tous capables de lire ou d’écrire,  de tenir un raisonnement cohérent ou de se reconnaître dans un miroir.

    Néanmoins, on peut avancer sans trop se mouiller qu’aucune huître n’est capable de se reconnaître dans un miroir. Donc l’espèce peut impliquer certaines caractéristiques qui sont importantes en matière de droits. Non pas parce qu’elles est porteuse d’une « essence » qui définit ses représentants, non pas qu’elle leur confère une importance absolue plus ou moins élevée; mais elle indique certaines caractéristiques que possèdent ses représentants (tous ou une partie d’entre eux).

    Il est faux de penser que l’antispécisme est reservé aux seuls animaux. Cela voudrait dire qu’il existe une frontière infranchissable entre le groupe « animaux » et le groupe « êtres vivants autres qu’animaux ». Or c’est faux, puisque les métazoaires (ou animaux pluricellulaires) descendent d’un ancêtre commun qui lui-même descend d’un ancêtre commun avec les autres eucaryotes, dont les végétaux; et si on remonte plus loin dans l’histoire, tous les êtres vivants descendent d’un organisme unicellulaire que les biologistes ont baptisé du joli nom de LUCA (Last Unic Common Ancestor).

    Dire que les seuls êtres qui ont des droits sont les animaux pluricellulaires, comme si les premiers eucaryotes à s’être agglomerés pour vivre en colonie avaient acquis une valeur morale particulière, ce serait aussi idiot que de penser que le premier singe a avoir marché debout avait acquis une valeur morale et qu’on doit accorder des droits aux humains et pas aux autres animaux.

    On se heurte là à une difficulté de taille en ce qui concerne l’antispécisme: comment respecter chaque individu en prenant compte de ses caractéristiques biologiques, au vu de la diversité des espèces et de la continuité qui existe dans l’évolution et dans la sentience? Chaque antispéciste a peut-être une réponse différente. En tous cas, on ne peut pas se contenter de dire que parce que la question est difficile on doit y apporter une réponse facile et injuste.

    En réalité, la majorité des antispécistes ne s’intéressent pas à la question de savoir si quelque chose est vivant ou non(3) ,mais si ce quelque chose est sentient, c’est-à-dire sensible et conscient. Et la plupart s’accordent pour dire qu’à partir du moment ou un organisme possède un système nerveux, cela lui confère un droit particulier, puisqu’il est alors potentiellement capable de ressentir du plaisir ou de la douleur (sensible).

    Cela ne règle pas totalement le problème, puisque le système nerveux, qui serait apparu chez les bilatériens (premiers métazoaires à posséder une symétrie bilatérale), n’était pas alors aussi développé que chez les vertébrés actuels; de plus, la céphalisation, et la centralisation du système nerveux, qui en font le siège des sensations et des émotions, sont apparues progressivement au cours de l’évolution, et avec cette complexité du système nerveux est apparue la conscience. Ainsi, la céphalisation est peu très développée chez les premiers chordés (ancêtres des vertébrés), tandis qu’elle est très marquée chez les primates, l’humain en particulier; les plus gros cerveaux se retrouvant chez certains cétacés. Du tunicier au tursiop, il existe toute une variété de systèmes nerveux plus ou moins complexes, sièges de toutes sortes de sensations et d’émotions.

    Il est difficile de s’accorder sur le statut moral d’un animal ayant évolué avec un cerveau peu complexe. Certains animaux possèdent quelques cellules nerveuses qui réagissent à certains stimulis. Les tuniciers par exemple, qui n’ont pas de cerveau à proprement parler, possèdent un petit circuit nerveux capable de modifier ses réponses en fonction des stimulations antérieures, autrement dit, capable de mémoire. Ils ont d’ailleurs été utilisés pour des expériences permettant de comprendre un peu mieux le mécanisme de la mémorisation chez les vertébrés. De même, les bivalves (moules, huîtres) possèdent 3 paires de ganglions nerveux et réagissent à certains stimuli (PH, température, susbtances chimiques) par exemple en se fermant et en s’ouvrant, mais aussi en libérant certaines molécules. Elles sont donc a priori sensibles, mais sont-elles conscientes?

     

    Image propagandiste de la société de protection des huîtres

     

    Ces animaux posent un problème particulier. La plupart des antispécistes leur accordent le bénéfice du doute et ne les mangent pas, car il est possible qu’ils puissent ressentir quelque chose, autrement dit que leurs ganglions nerveux soient le siège de sensations.

    En revanche, il existe certains animaux qui n’ont pas de système nerveux, soit que leurs ancêtres n’en aient jamais eu, soit qu’il ait disparu au cours de l’évolution (comme chez certains parasites). Ces animaux ne sont pas des sujets de droit, puisqu’ils ne sont ni sensibles, ni conscients.

    Il est donc faux de dire que l’antispécisme est réservé aux animaux, ne serait-ce que parce que tous les animaux n’entrent pas dans la sphère du droit.

    2- De l’utilité d’un système nerveux et pourquoi les plantes n’en ont pas

    Les antispécistes insistent parfois sur le fait que les plantes n’ont pas de système nerveux, tandis que les carnistes soulignent qu’elles répondent à certains stimulis. Mais il ne suffit pas de répondre à des stimulis pour être un être sentient. Mon ordinateur réagit à des stimulis, ce n’est pas pour ça que je lui confère des droits particuliers.
    Mais peu importe, certains arguent que les plantes pourraient ressentir la douleur, la peur ou je ne sais quoi encore. Pour inventer un néologisme barbare, c’est une forme d’animalocentrisme: puisqu’elles sont vivantes, elles n’aiment pas mourir, ou que sais-je.

    Ce point de vue est en désaccord avec la logique la plus élémentaire quand on réfléchit à ce qu’est la sensibilité et à ce qu’est la sentience. En effet, si les animaux sont sentients, c’est qu’il y a une raison à cela. La sensibilité est apparue graduellement chez les animaux au cours de l’évolution et ceux d’entre eux qui étaient les plus aptes à réagir rapidement et de façon adéquate à leur environnement ont été favorisés à un moment donné de l’histoire. Un cerveau complexe permet à l’animal de développer une palette large de comportements qui seront exprimés en fonction des circonstances et lui permettront de survivre ou de se reproduire(4) : fuite, recherche de nourriture, accouplement, etc. La conscience, pour mystérieuse qu’elle soit, n’existe pas non plus sans raison; et elle n’existe pas seulement en tant que concept, elle possède une existence physique. La pensée n’est autre qu’un ensemble complexe d’interactions neuronales; elle nécessite que diverses informations soient analysées dans un centre nerveux spécifique. Ce centre nerveux, le cortex, est le siège de la conscience.

    Le système nerveux est donc l’une des nombreuses réponses adaptatives des êtres vivants à leur environnement. Il n’est apparu qu’une seule fois, chez les animaux. Les plantes, elles, ont d’autres réponses adaptatives, ou pour parler en termes un peu finalistes, d’autres stratégies de survies et de reproduction qui ne se basent pas sur la possession d’un système nerveux, encore moins d’une conscience. Autrement dit, non seulement les plantes n’ont pas de conscience, mais surtout elles n’en ont pas besoin.

    Pourquoi une plante ressentirait de la douleur quand on la coupe, puisqu’elle est incapable de produire une réponse adéquate pour ne pas être coupée? La douleur est un mécanisme adaptatif, elle sert un but. Et si les plantes avaient une conscience, il faudrait pouvoir dire où se trouve le siège de cette conscience, son existence physique. Or, elle n’existe pas.

    Dès lors, l’existence d’une supposée conscience chez les végétaux relève d’une vision religieuse ou mystique de la vie, ou d’une simple méconnaissance de la biologie. Si les carottes ne crient pas quand on les coupe, c’est parce que les végétaux sont arrivés jusqu’à nous par des adaptations à leur environnement autres que la perception de la douleur ou d’émotions (comme la peur).

    Ca ne les empêche pas d’être vivantes et de posséder une certaine sensibilité, si on définit la sensibilité comme capacité à répondre à un stimulus. Les plantes répondent à de nombreux stimuli, notamment en modifiant leur façon de pousser (De la même façon que notre organisme répond à de nombreux stimuli qui ne passent pas par le système nerveux et qui échappent donc à notre conscience; comme par exemple certaines réponses immunitaires). Mais cette forme de sensibilité n’est pas comparable à celle d’un organisme qui possède un centre nerveux, car les informations de l’environnement ne sont pas traitées par un centre intégrateur susceptible de produire une forme de pensée. Autrement dit, les plantes ne ressentent pas.

    Les personnes qui attribuent une volonté de vivre aux plantes sont fruitariennes, et se nourrissent donc sans tuer de plantes, mais en ramassant les fruits et les graines. C’est une vision mystique et naturaliste de la vie: les fruitariens peuvent considérer que les plantes produisent des fruits et des graines dans le but de se reproduire, alors que si on en reste à une vision purement scientifique des plantes, elles produisent des fruits parce que celles qui ne le faisaient pas ont disparu. On ne peut pas vraiment discuter à propos d’un point de vue spirituel pour savoir s’il est vrai ou faux, c’est une façon très subjective de voir le monde. Je pense qu’il est tout à fait abusif d’imposer une éthique basée sur un point de vue non rationnel. La spiritualité devrait rester propre à chaque personne.

    J’aime les plantes, mais c’est une question de sensibilité propre à chacun, de subjectivité, et je ne souhaite pas que tout le monde aime les plantes (ni que tout le monde aime les animaux) et je peux pas exiger que les plantes aient des droits particuliers. Le fait d’aimer ou de ne pas aimer les plantes est totalement sans rapport avec la recherche d’une société juste. Le fait que les plantes soient vivantes impliquent peut-être une façon particulière de les traiter, mais étant donné qu’elles ne souffrent pas, cette question est secondaire par rapport à la question des droits des animaux qui elle, est urgente.

    Les façons différentes de traiter les plantes, les êtres unicellulaires et les animaux (ou plutôt, certains animaux) sont donc basées sur les caractéristiques biologiques concrètes, et sont plus complexes qu’il n’apparait au premier abord.

    (1) Même si c’était le cas, le spécisme devrait en toute logique être mis à mal par la simple idée de l’évolution, puisque les espèces descendent les unes des autres. Pour les implications philosophiques de la théorie de l’évolution, voir par exemple Darwin, espèce et éthique, de James Rachel dans les cahiers antispécistes.

    (2) Personnellement, cela me pose un problème: celui de se baser sur des conclusions tirées d’observations du comportement des animaux pour déterminer leur droit, alors qu’on sait peu sur leur conscience. Mais cela a au moins le mérite d’essayer de se baser sur des données objectives. J’y reviendrai peut-être dans un prochain article.

    (3) D’ailleurs attribuer ou non des droits à un quelque chose en fonction du fait que ce quelque chose est vivant ou pas, serait tout aussi arbitraire que de lui attribuer des droits en fonction de son appartenance ou non à une espèce ou au règne animal.

    (4) Il se peut que j’utilise parfois un vocabulaire finaliste pour expliquer des phénomènes évolutifs, pour ne pas trop alourdir la formulation. Mais attention à remettre les choses dans leur contexte. A propos du finalisme, lire « la nature ne choisit pas« , un texte de David Olivier.

     

    via : lesquestionscomposent.fr

  • L’antispécisme pour les nuls

    A lire avant toute chose
    L’antispécisme est une idéologie opposée à l’idéologie dominante. C’est à dire qu’elle est contraire à ce que vous avez appris dès votre plus jeune âge. Si vous lisez ce texte (en entier ou une partie) en ayant peur d’être influencé par un point de vue différent du votre, vous perdrez votre temps. Si vous le lisez parce que vous êtes réellement intéressé par ce que les antispécistes ont à dire, vous y trouverez les réponses aux objections les plus courantes, ce qui vous permettra de vous forger une opinion plus facilement. Cependant, si vous désirez vraiment connaître le sujet, la lecture de cette petite FAQ ne vous dispense pas de lire directement les auteurs antispécistes.
    De plus, les réponses données dans cette FAQ n’engage que moi, même si je pense que la plupart des antispécistes et des vegans seront d’accord dans l’ensemble, ce n’est pas vrai pour tous, et même ceux qui sont d’accord avec la façon dont je réponds auraient peut-être répondu autre chose.

    1) je suis allé sur quelques sites de protection des animaux et j’ai regardé des vidéos sur le végétarisme ou sur les animaux, mais je n’ai pas été convaincu.
    Je n’ai pas été convaincue non plus par ce genre de choses. Sur internet, peu de sources donnent véritablement un aperçu clair et compréhensible de la pensée antispéciste, qui permettrait à une personne lambda de comprendre de quoi il s’agit réellement. Et même si ces sites webs, écrits et vidéos relèvent implicitement de ce mode de pensée. La pensée antispéciste est construite en opposition à la pensée spéciste qui est l’idéologie dominante. Il est donc logique et normal que la plupart des gens ne connaissent que l’idéologie dominante, et discuter avec des gens qui ont adopté une idéologie alternative ne permet pas forcément de décider si l’on est pour ou contre leur idéologie, car il est malheureusement rare que de telles discussions aboutissent à une véritable compréhension de leur façon de penser.
    Or pour décider qu’une idéologie est mauvaise, encore faut-il la comprendre réellement.

    2) Je n’ai rien contre le véganisme, tant que c’est un choix personnel et qu’on n’essaie pas de me convaincre. Chacun fait ce qu’il veut.
    Cette remarque peut sembler légitime et pertinente. Mais elle l’est uniquement dans un mode de pensée spéciste. La pensée antispéciste se distingue précisément par le fait que les êtres vivants bénéficiant de l’éthique ne sont pas uniquement les humains, mais aussi certains animaux. De ce point de vue il est absurde de dire « chacun fait ce qu’il veut » en parlant du fait de manger de la viande, puisqu’il faut tuer des animaux pour cela. Le choix de manger de la viande concerne aussi l’animal qui doit être tué pour qu’on puisse le manger.

    Quand quelqu’un me dit « je mange de la viande, c’est un choix personnel » j’en conclus donc qu’il ne comprend pas ce qu’est l’antispécisme, car s’il le comprenait, il comprendrait aussi que dire cela n’a aucun sens pour moi. Cela reviendrait à dire à une féministe que battre sa femme est un choix personnel.

    3) Je ne pense pas que les animaux puissent être sujets de droit.
    Les animaux ont déjà certains droits dans notre société. Maltraiter ou tuer certains animaux peut être passible d’amendes ou d’autres peines. La loi L214 du code rural définit les animaux domestiques comme des êtres sensibles disposant de certains droits. Doit-on abolir ces lois et faire en sorte que tuer ou maltraiter n’importe quel animal de n’importe quelle façon ne puisse pas être puni? De plus, si l’animal ne doit pas être sujet de droit, alors que les humains doivent l’être, il faut définir en quoi seul l’humain mérite des droits. A ce sujet, voir les points 6 à 10.

    4) Les animaux peuvent avoir certains droits, mais c’est toujours l’intérêt de l’humain qui doit primer.
    Faire primer l’intérêt de l’être humain sur celui, même beaucoup plus important, d’un autre animal est ce qu’implique la pensée spéciste. C’est donc précisément ce à quoi s’opposent les antispécistes.
    Considérer comme plus important l’intérêt, même futile, d’un humain, sur n’importe quel intérêt ou presque d’un autre animal, est une décision qui repose sur l’idée de la supériorité de l’humain sur les autres animaux. Or, les antispécistes ne croient pas en la supériorité absolue d’une espèce sur l’autre (voir point 6).

    5) Les animaux se mangent entre eux. L’humain est un animal. Il mange donc d’autres animaux.
    Les humains (du moins certains d’entre eux, voir point 6) font beaucoup de choses que les autres animaux ne font pas. Comme par exemple réfléchir à ce qu’ils mangent, ou encore avoir conscience qu’il existe d’autres consciences que la sienne propre. C’est pourquoi les humains de notre culture ne mangent généralement pas d’autres humains, parce que nous estimons que c’est contraire à l’éthique (mais ça n’a pas toujours été le cas dans toutes les cultures).
    La pensée antispéciste ne prétend pas qu’il n’est « pas naturel » ou « pas normal » de manger de la viande. Elle porte sur un autre débat. Elle pose une base de réflexion pour définir une éthique. Si nous estimons que manger de l’humain n’est pas éthique et que manger d’autres animaux l’est, alors nous devons le prouver.

    6) L’humain est supérieur aux autres animaux: il peut lire, écrire, utiliser un ordinateur.

    Les humains possèdent sans nul doute des capacités que n’ont pas les autres animaux.
    Néanmoins, il  est intéressant de constater que ces 3 caractéristiques de l’humain que j’ai citées (et qui m’ont toutes été proposées, avec plusieurs dizaines d’autres, pour expliquer la supériorité de l’homme sur l’animal) ne sont pas partagées par tous les humains. Certains humains ne savent ni lire, ni écrire, ni utiliser un ordinateur.
    A l’inverse, certains animaux peuvent apprendre à utiliser un ordinateur (notamment les grands singes et les cochons).
    Si on ne mangeait que les animaux qui ne savent pas utiliser un ordinateur, on pourrait manger certains humains et pas certains cochons. Les antispécistes estiment que le critère de savoir ou non utiliser un ordinateur n’est pas celui sur lequel on doit se baser pour décider si l’on attribue ou non des droits à un être vivant. (voir point 8)

    7) un cochon peut apprendre à utiliser un ordinateur, mais il ne peut pas en construire un, ni comprendre comment ça marche, ni construire une ville. C’est ce qui distingue les humains des autres animaux.

    Certains humains (et pas d’autres) peuvent élaborer un plan d’architecture, ou empiler des briques, ou designer et construire des canalisations, etc. Mais aucun humain ne peut construire une ville. Il en est de même pour les ordinateurs. Nous les utilisons, mais sans forcément comprendre comment ils marchent de A à Z.

    On voit ici que la pensée spéciste se construit sur la base de ce que les humains construisent ensemble et non pas de ce qu’ils peuvent faire ou non individuellement. L’antispécisme s’intéresse à des individus, tandis que le spécisme s’intéresse à leur nature, c’est à dire à des concepts qu’ils représentent dans la culture.

    8) Mais ils peuvent participer à construire quelque chose. Aucun cochon ne pourra jamais participer à la construction d’une ville ou d’un ordinateur.
    Comme il est dit en réponse à la remarque 6, certains humains ne pourront jamais participer à la construction d’un ordinateur: jeunes enfants atteints d’une maladie du cerveau, personnes atteintes d’alzheimer, déficients mentaux… Pourtant on considère généralement que ces gens sont des sujets de droit parce qu’ils appartiennent à l’espèce dont d’autres membres savent construire des ordinateurs.
    On peut adhérer à cette idée. Comme il est dit dans le point 6, les antispécistes considèrent, pour leur part, que les capacités intellectuelles ne sont pas importantes lorsqu’il faut décider si l’on attribue ou non des droits à un être vivant. Ils considèrent donc, à plus forte raison, que les capacités intellectuelles des individus de la même espèce sont sans importance. D’un point de vue antispéciste, on prendra plutôt en compte des caractéristiques comme la capacité à ressentir la douleur, le plaisir ou les émotions. Ainsi, la douleur physique infligée à un animal sera prise en compte indépendamment de l’espèce et de l’intelligence rationnelle de cette animale: on la prendre en compte simplement parce qu’elle existe, qu’elle est perçue par l’animal.

    9) Tu compares les déficients mentaux à des animaux.
    Cette remarque ne m’est pas faite si souvent que les autres, mais elle est très intéressante. En effet, en tant qu’antispéciste, je considère que les capacités intellectuelles sont sans importance dans l’attribution de droits à un être vivant. Or, les spécistes considèrent justement le contraire.  Selon la pensée spéciste, le fait d’appartenir à l’espèce humaine confère des droits aux déficients mentaux. Un antispéciste, lui, considèrera qu’un déficient mental, qu’un nouveau-né ou qu’un malade d’alzheimer doivent posséder des droits non pas en fonction de ce qu’ils ont été, seront ou auraient pu être, ou de ce que sont les individus de la même espèce qu’eux. Au contraire, un antispéciste considèrera que ces gens doivent recevoir des droits à cause de ce qu’ils sont.
    Les antispécistes considèrent donc que c’est la pensée spéciste qui dévalorise certains humains, et non pas la pensée antispéciste.

    10) Le critère d’intelligence est important car si les animaux souffrent, ils ne savent pas qu’ils souffrent.
    Le problème de la conscience est un sujet vaste et complexe. Néanmoins, il me semble évident que les animaux savent qu’ils souffrent, sinon ça ne leur servirait à rien. Et ce même s’ils ne le savent pas de la même façon que les humains, chaque espèce étant différente. Peut-être ne savent-ils pas qu’ils savent qu’ils souffrent, mais leur souffrance est perçue par leur subjectivité, par leur conscience.
    Pour la plupart des antispécistes, le fait qu’un être vivant ressente de la souffrance est un critère suffisant pour prendre en compte l’existence de cette souffrance. A quel niveau il a conscience de cette souffrance est un critère qui est peut être pris en compte parmi d’autres, mais qui n’est pas le critère central.

    11) les animaux ont peut-être intérêt à ne pas souffrir, mais ils n’ont pas d’intérêt à vivre car ils n’ont pas de conscience d’eux-même.
    Encore une fois, la conscience est un sujet complexe. Mais il faut d’abord faire remarquer que, comme la capacité à utiliser des ordinateurs et/ou à comprendre comment ils marchent, la conscience de soi n’est ni propre à l’humain, ni partagée par tous les humains. Certains animaux ont conscience d’eux-même, on peut le constater notamment par le test du miroir: éléphants, dauphins, grands singes et d’autres espèces se reconnaissent dans un miroir. Par contre, les enfants acquièrent cette capacité au cours de leur vie, et donc tous les enfants n’ont pas conscience d’eux-même. Certains adultes déficients mentaux non plus. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de leur faire du mal sous ce prétexte.
    De plus, notons que la souffrance est un mécanisme nécessaire à la survie.  Au sujet des animaux qui sont conscients mais dont on suppose (sans certitudes absolues, cependant) qu’ils ne sont pas conscients d’eux-même, il est important de noter que dans certaines situations, ils préfèreront généralement endurer une plus grande souffrance s’ils estiment que cela leur permettra de survivre. Par exemple, les renards, chats, chiens, ragondins, et d’autres animaux, lorsqu’ils se prennent dans des pièges, se rongent la patte pour aller ensuite se mettre à l’abri. Ils s’occasionnent ainsi de grandes douleurs physiques dans le but de sauver leur vie.
    Les consciences animales sont mystérieuses pour nous, il est en fait assez hasardeux de supposer que les animaux ne voient pas d’intérêt à leur propre vie. Nous constatons qu’ils n’aiment pas souffrir car, lorsqu’on leur inflige une douleur physique, ils crient et essaient d’échapper à la source de douleur. On peut constater aussi que s’ils se sentent en danger, ils mettront toutes les ressources dont ils disposent dans la fuite ou le combat, comme le ferait un humain. Il est donc farfelu de décréter que les animaux n’ont pas de volonté de se maintenir en vie.

    12) Mais si on tue un animal sans qu’il sache qu’il va mourir, ça ne lui fait aucun mal.
    Cette question est délicate parce qu’elle touche à des sujets très profonds, comme les raisons qu’on les êtres vivants de vouloir vivre ou ne pas vivre, et le rôle de la conscience de soi dans l’intérêt à vivre ou la peur de la mort. Tous les antispécistes ne sont pas d’accord entre eux sur ce sujet.
    Cependant la grande majorité s’accordent à dire que si l’on accepte ce postulat (selon lequel un être incapable de se projeter dans l’avenir n’a pas d’intérêt à ne pas être tué), on doit l’appliquer à tous les êtres qui sont incapables de se projeter dans l’avenir, y compris les humains.
    Certains antispécistes considèrent que la capacité à se projeter dans l’avenir est un critère de droit pertinent, et cette capacité dépend en partie de l’espèce. Mais la plupart s’accordent à dire qu’il demeure contraire à l’éthique d’abréger la vie d’un animal, même incapable de se projeter dans l’avenir. Autrement dit, même si l’animal ignore qu’il a un intérêt à vivre,  ça n’empêche pas qu’il en ait un, et qu’on doive le respecter (puisque nous, nous savons qu’il a un intérêt à vivre).
    A ce sujet, lire par exemple http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article70
    Dernière remarque: les capacités des animaux à se projeter dans l’avenir sont très mal connues, de même que leur connaissance de la mort, ainsi que leurs capacités à imaginer des concepts. La capacité à penser en terme de concepts abstraits est caractéristique de l’intelligence humaine, mais n’est pas spécifique de celle-ci. En règle générale, toutes les caractéristiques importantes de l’intelligence humaine peuvent être trouvées à divers degrés dans le règne animal.

    13) Les déficients mentaux pensent à leur façon, alors que les animaux ne pensent pas.
    Les animaux ont une forme de pensée qui leur est propre et qui leur permet notamment de prendre des décisions en fonction de plusieurs facteurs environnementaux, psychiques etc… Et également de résoudre certains problèmes. Le fait qu’un animal puisse résoudre un problème qui lui est posé suggère l’existence d’une forme de pensée animale, différente de la notre.

    D’un point de vue scientifique et rationnel, rien de permet de dire qu’un humain pense et qu’une vache ne pense pas. Le cortex, siège de la conscience, est plus étendu chez l’humain. Mais la vache possède aussi un cortex, et son cerveau fonctionne globalement de la même façon, à la différence que certaines zones sont plus développées et d’autres moins (le cortex olfactif est plus développé par exemple).

    14) les animaux n’ont pas de désir de vivre ou de ne pas souffrir, ils réagissent uniquement par instinct.
    Je réagis également par instinct en retirant ma main du feu lorsque je sens la brûlure: personne ne m’a appris à le faire. Or, face à un danger par exemple, un animal peut réagir de la même façon en donnant une réponse comportementale innée, ou au contraire utiliser ses expériences et réagir en fonction de ce qu’il a appris. L’instinct est souvent le mot qu’on utilise lorsqu’on ne comprend pas les ressorts du comportement des animaux: par exemple, on parle d’instinct migratoire, alors que la migration est un comportement en grande parie appris, et non pas inné. On ignore sur quels éléments de leur environnement se basent les oiseaux pour décider du moment exact de la migration, mais ces éléments sont pourtant transmis d’une génération à l’autre.

    15) Peu importe, je pense quand même que l’humain est supérieur aux autres espèces. Même si tous les humains n’ont pas les mêmes capacités intellectuelles, le fait d’appartenir à l’espèce humaine est un critère de droit.
    C’est un droit de penser ça. Cependant, la supériorité des espèces les unes par rapport aux autres relève de la croyance, et non pas d’un raisonnement scientifique. A noter qu’il n’y a pas de consensus absolu en biologie sur la définition d’une espèce. (Pour en savoir plus, lire « les espèces non plus n’existent pas »)

    16) Ton raisonnement n’est pas scientifique non plus.
    L’antispécisme repose sur un raisonnement rationnel, tandis que le spécisme repose sur un point de vue naturaliste qui relève de la croyance: opposition de « l’homme » et de « la nature ». Un humain posséderait un « quelque chose » d’indéfinissable qui le rendrait supérieur à tout autre animal, et peu importe leurs intelligences, leurs sensibilités et leurs qualités respectives. On appelle ce quelque chose conscience, intelligente, capacité d’abstraction, langage, etc, mais ces caractéristiques de l’humain, réelles ou supposées, ne sont jamais propres à l’humain ni partagées par tous. Il s’agit en réalité d’une essence humaine, d’une nature, d’une projection de l’esprit, un quelque chose qui relève de la croyance et n’a pas d’existence scientifique concrète.
    Etre antispéciste revient, en quelque sorte, à considérer l’être humain comme un animal et non pas comme une entité mi-animale et semi-divine, ce qui est en opposition avec l’héritage de la pensée judéo-chrétienne. L’intelligence humaine n’est donc qu’une forme intelligence parmi d’autres qui ne confère pas un statut particulier.

    Cependant, être vegan ne signifie pas uniquement qu’on est antispéciste. Encore faut-il se soucier, par exemple, de la justice, car je peux très bien décider que même si c’est injuste de tuer des cochons pour les manger, je vais le faire quand même parce que la société m’y autorise. La décision de ne pas le faire ne relève pas de la science, mais du désir de justice que possèdent certaines personnes et pas d’autres (ceci dit sans aucun jugement de valeur). On ne peut pas obliger les gens à se soucier d’obtenir un monde plus juste s’ils n’en ont pas envie. Ce que dit l’antispécisme, c’est qu’il n’y a pas de différence de nature entre l’humain et les autres animaux car le naturalisme est une croyance. Rien n’empêche de penser de façon naturaliste, notamment si l’on croit en une religion qui définit l’homme comme un être semi-divin. Remarquons cependant que beaucoup d’athées adoptent une telle vision naturaliste, qui relève pourtant du mysticisme.

    17) Si je t’écoute, la vie d’une fourmi vaut celle d’un humain.
    Ce n’est pas ce que je dis. La valeur de la vie peut être fonction de beaucoup de choses. C’est un débat compliqué et difficile, tout comme comparer les valeurs de vies humains entre elles. Pour donner un début de réponse, un antispéciste estimera la vie d’une fourmi non pas en fonction de son appartenance à l’espèce « fourmi » mais en essayant de savoir si cet individu (la fourmi) accorde de la valeur à sa propre existence, si elle a un intérêt à vivre, si elle souffre, etc. Il est possible qu’une fourmi n’accorde aucune valeur à sa propre existence, étant donné son système nerveux peu développé. La plupart des antispécistes évitent cependant d’écraser des fourmis car il est quasi impossible de vraiment savoir si une fourmi ressent quelque chose.
    L’espèce d’un animal n’est pas un critère en soi, mais en revanche, le fait qu’un animal appartiennent à telle ou telle espèce peut impliquer beaucoup de choses en ce qui concerne ses intérêts. Par exemple, une carotte n’a pas de système nerveux. Ainsi, l’antispéciste acceptera de manger des carottes non pas parce qu’elles appartiennent à l’espèce « carotte » mais parce que, n’ayant pas de système nerveux, une carotte ne peut expérimenter la douleur ou la peur. En revanche, un veau peut ressentir toute une variété d’émotions, comme le désir de se trouver près de sa mère, ou la détresse d’en être séparé. Ces émotions, ainsi que d’autres caractéristiques de ce que ressent l’être vivant, c’est à dire toutes les informations qui arrivent dans ses centres nerveux et la façon dont elles sont traitées, (douleur physique, stress, ennui, plaisir, etc) doivent être prises en compte à partir du moment où elles existent, si l’on veut traiter l’être vivant de façon éthique. On ne peut pas prendre en compte la souffrance d’une carotte parce qu’elle n’existe pas.

    La valeur de la vie est un sujet compliqué car on ne sait pas de quoi on parle exactement; par exemple il est évident qu’un humain vaut davantage pour un autre humain qu’une fourmi. On accorde plus de valeur à la vie des êtres vivants qui nous sont proches qu’à ceux qu’on a jamais vus, parfois de façon indépendant à leur espèce (par exemple si mon chat meurt, je serais très triste, alors que des humains meurent en ce moment et ça ne me fait pas pleurer). Les antispécistes ne sont pas tous d’accord entre eux sur ces sujets, certains ne voient pas l’intérêt de hiérarchiser les valeurs des vies les unes par rapport aux autres, car ils estiment que toute vie est précieuse à partir du moment où elle possède une subjectivité, une conscience. D’autres ne s’accordent pas sur les critères valables pour décider de la préciosité d’une vie. A noter qu’il faut parfois décider quel humain a la vie la plus digne d’être vécue, par exemple dans le cas de greffes d’organes lorsqu’on manque de donneurs. On peut imaginer que ce ne sont pas des décisions faciles à prendre.

    18) Tu t’appuies sur l’existence d’un système nerveux pour décider si les êtres vivants souffrent ou non. Peut-être que les plantes ressentent quelque chose.
    Je m’appuie sur des données scientifiques. Je peux te montrer comment une poule souffre, t’expliquer comment ça marche, par quels mécanismes elle ressent la douleur et y répond (de même que le plaisir), et quel est le rôle de la douleur dans le processus évolutif qui lui a donné naissance. Tout porte à croire que les plantes ne souffrent pas, non seulement parce qu’elles n’ont pas d’organes de réception, traitement et gestion de la douleur; mais surtout parce que dans leur histoire évolutive, leur survie a été basée sur des mécanismes qui n’impliquent pas la douleur. Comme je l’ai dit dans le point 11, la douleur est un mécanisme qui permet la survie. Les plantes sont capables de répondre à des stimuli environnementaux sans avoir recours à un système nerveux, donc sans éprouver de douleur ou d’émotions. Si une plante ressentait de la douleur par exemple quand on coupe une de ses feuilles, ça ne lui servirait à rien puisqu’elle serait incapable de réagir en fonction.
    Les réactions des plantes à leur environnement sont comparable aux réactions du corps humain qui ne passent pas par les voies nerveuses, comme par exemple les réactions du système immunitaire. Nous sommes inconscients de ces réactions,  nous ne les ressentons pas, et pourtant elles nous affectent physiquement. Nous ne pouvons percevoir ces réactions que lorsqu’elles influent sur nos centres nerveux (par exemple si une défense immunitaire provoque une réaction inflammatoire). Un humain sans cerveau peut avoir des réactions immunitaires, ainsi que des réactions inflammatoires, mais ne peut pas ressentir l’effet douloureux de ces réactions. Il en est de même pour une plante. A ceci près qu’un humain sans cerveau ne peut vivre que quelques minutes au maximum après la naissance.

    Pour plus de détails, lire « Pour en finir avec le cri de la carotte« .

    19) Tout le monde n’a pas la même éthique.
    Je n’oblige personne à avoir la même éthique que moi,  et d’ailleurs je n’ai pas le pouvoir d’obliger qui que ce soit à avoir une éthique tout court. Cependant, le fait que je possède moi-même une éthique antispéciste implique que je me soucie du sort des animaux. Or,  les gens peuvent avoir beaucoup de raisons de ne pas adopter la pensée antispéciste, mais force est de reconnaître que très, très peu de gens la comprennent. Et il est impossible d’adhérer à quelque chose que l’on ne comprend pas. Il est également est impossible d’adhérer à une idéologie à partir du moment où l’on a décidé qu’on y adhèrerait pas, et j’ai parfaitement conscience que quelqu’un qui lirait cette FAQ en ayant décidé d’office qu’il n’adhèrerait pas aux idées que j’y développe ne sera pas convaincu. A vrai dire, le but n’est pas vraiment de convaincre, mais plutôt de rendre plus compréhensible et accessible l’antispécisme en répondant aux objections les plus courantes, qui relèvent, pour la plupart d’entre elles, non pas d’une opposition idéologique, mais d’une incompréhension.

    20) Tu culpabilises les gens qui mangent de la viande.
    Je ne juge personne pour manger de la viande. J’en ai moi-même mangé pendant très longtemps. Pourtant, je suis toujours la même personne, simplement j’ai réfléchi au sujet d’une façon nouvelle, ce qui fait que j’ai décidé d’arrêter d’en manger. Ca n’a pas transformé ma personnalité. Je pense que ce serait mieux si chacun questionnait ses choix de vie et les confrontait à l’éthique et à des réflexions sur la valeur de la vie, sur nos raisons d’agir et sur tout un tas de sujets. Mais je ne peux obliger personne à le faire, ni à tirer les mêmes conclusions que moi. Et je ne juge pas non plus les gens en fonction de ça.
    A noter que même si je vous jugeais en fonction du fait que vous soyez de vilains mangeurs de viande ou  de gentils végétariens, ou des intelligents qui réfléchissent ou des bêtes qui ne réfléchissent pas, etc… quelle importance cela devrait avoir pour vous? N’est-ce pas plus important de vous demander ce que vous estimez être le meilleur choix possible? Vous avez une vie, vous avez une personnalité, vous avez un cerveau. Ce serait dommage de prendre des décisions en fonction des jugements des autres.

    21) L’humain mange de la viande depuis la nuit des temps.
    C’est vrai. J’estime néanmoins que l’ancienneté d’une pratique ne la justifie pas dans un cadre de réflexion éthique. De plus, le fait de ne plus être en situation de survie nous permet de nous intéresser à l’éthique, ce qui est une chance.

     

    Pour résumer

    Le spécisme est un héritage de la culture judéo-chrétienne. C’est une façon de penser qui concède à tout être humain une valeur supérieure à tous les autres êtres vivants, et lui accorde des droits particuliers, en vertu de caractéristiques diverse liées aux valeurs-phares de l’humanisme, les plus valorisées par la culture judéo-chrétienne et patriarcale: intelligence, rationalité, capacité d’abstraction, etc. Ces caractéristiques ne sont pas les raisons pour lesquelles l’homme est dit supérieur aux autres animaux, mais elles sont en réalité pensées comme des symptômes de la supériorité de « l’homme » sur « l’animal », censée aller de soi et être liée à une essence ou une nature humaine, opposée à l’essence ou la nature animale.

    L’antispécisme s’oppose à cette vision naturaliste des êtres vivants et s’intéresse non pas à ce que les individus représentent, mais à ce qu’ils ressentent. La souffrance d’un individu est prise en compte de façon indépendante des valeurs culturelles que cet individu incarne et qui, bien souvent, lui sont étrangères. Ce qui importe n’est pas la rationalité ou les capacités d’abstraction de l’être qui souffre, mais la simple existence de sa souffrance, perçue par une conscience, une subjectivité.
    Cette position peut être illustrée par une citation de Jeremy Bentham:
    La question n’est pas « peuvent-il raisonner? » ni: « peuvent-ils parler? » Mais: « Peuvent-ils souffrir? »

    via : lesmotscomposent.fr