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Chemin de croix des troubles alimentaires (reprise Faim d'Existence Pâques 2018)

Chemin de Croix des troubles alimentaires est un court  témoignage romancé de  qui pourrait prendre la forme d’un court livret, d’une jeune femme, Véra, anorexique-boulimique qui rencontre le Christ en suivant son chemin de croix.

Il y a deux voix en elle qui s’entremêlent : celle qui l’attire vers l’autodestruction et le désespoir et celle de Dieu –qu’elle rencontre lors d’une révélation- qui tente de lui donner un chemin de vie et d’espoir et qui y parviendra.

Cet ouvrage de fiction raconté à la première personne, narre les combats présents dans cette maladie, décrit les symptômes et est en définitive un témoignage de guérison chrétienne.

Il fait également référence à l’anorexie sainte présente chez plusieurs religieuses connues qui ont pratiqué le jeûne et à des extraits bibliques qui concernent l’alimentation.

Ce mal, très répandu et médiatisé n’a pas souvent été relié à un combat spirituel.

Au final, c’est un message d’espoir pour tous ceux et celles qui souffrent de cette maladie ainsi que les accompagnants, parents et professionnels de la santé. 

Chemin de Croix des troubles alimentaires

 

Semaine sainte : les derniers jours du Christ

 

Moi, Véra, 18 ans, souffrant d’addiction à la nourriture ; cela pourrait être ma présentation au sein d’un groupe d’Outremangeurs anonymes. Ces groupes calqués sur ceux des Alcooliques anonymes avec leurs douze étapes ressemblent étrangement à un chemin de croix. La bouffe peut devenir une véritable obsession quotidienne, infernale et qui régit tous les domaines de la vie. Seulement, on peut s’arrêter de boire de l’alcool ou consommer de la drogue mais on ne peut pas cesser de manger.

Mon témoignage reflète les deux voix et les deux voies en une même personne qui souffre de troubles alimentaires : celle qui veut vivre et qui pourrait être Dieu et celle qui veut se détruire dans l’illusion de vie.

Quatre expériences m’ont menées sur le chemin de l’envie de guérison : la découverte du christianisme, la plongée sous-marine, le yoga, et le végétalisme. Ce sont ces voies et ces voix qui se mélangent ici.

Dans le christianisme,  beaucoup de saintes ont vécu en s´abstenant  de nourriture comme Catherine de Sienne ou Angèle de Foligno : elles ne le revendiquaient pas mais les autres ne pointaient que leur jeun. Certaines ont été canonisées mais la différence notoire est que le jeun leur permettait de vivre dans un amour plus total : c’était un moyen et non une fin en soi.

Jésus, lui-même n´a-t-il pas pratiqué le jeûne quarante jours et quarante nuits dans le désert ?

Ainsi parlait Sainte-Marguerite de Cortona :

« Mon Père, je n’ai nullement l’intention de faire la paix avec mon corps et mon âme et encore moins de faire marche arrière.

Permettez-moi par conséquent d’apprivoiser mon corps et mon âme sans rien changer à mon régime. Je ne cesserai que lorsqu’il n’y aura plus de vie en moi.

Ne croyez pas que mon corps soit aussi mortifié et faible qu’il en a l’air. Il se comporte ainsi pour éviter de payer la dette qu’il a contractée au monde lorsqu’il en aimait les plaisirs.

Oh mon corps, pourquoi ne m’aides-tu pas à servir mon Créateur et mon Sauveur ?

Pourquoi n’es-tu pas aussi prompt à m’obéir que tu ne l’étais à désobéir à ses commandements ?

Ne te lamente pas, ne pleure pas, ne fais pas semblant d’être à moitié mort. Tu porteras la totalité du fardeau que je place sur tes épaules.

J’espère non seulement m’abstenir de toute nourriture terrestre mais je veux aussi mourir mille fois par jour si c’est possible, dans cette vie mortelle qui est la mienne ».

 Les anorexiques connaissent tous les stratagèmes pour cacher qu´elles ne mangent pas : prétendre qu´elles ont déjà mangé, recracher les aliments, les cacher sous des feuilles de salade ou même se faire vomir. Personne ne peut nous obliger à avaler ce que l'on ne veut pas. Je croyais que cet art de la dissimulation était un péché grave d´orgueil, ce serait peut-être plutôt un rôle de composition théâtral pour ne pas se faire remarquer.

Mais il existe bel et bien une euphorie du jeun, une jouissance à se retrouver dans cet état de vacuité plus transcendant qu'un ventre repu.

En vérité, si les gens connaissaient l’état de grâce relatif à l´inanition, il y aurait beaucoup plus d´anorexiques.

Si Dieu a permis cet état divin relatif à une non-action (ne pas manger) et non à une prise ou un abus de drogue, c'est bien que notre corps est fait pour cela : ne pas manger et glorifier Dieu.

Mais jeûner trop longtemps est difficile et même avec de l´entraînement il peut mener paradoxalement à un état où la nourriture devient une obsession : on se repaît à la regarder ou à la stocker et l'esprit se détourne de Dieu pour idolâtrer la bouffe : j´en suis la preuve vivante.

Durant le Moyen Age, le jeune autorisait un repas unique au coucher du soleil tout comme le ramadan des musulmans et qui s'est déplacé progressivement vers le milieu de la journée. Dans les Monastères, on interrompait les après-midis par une légère collation, appelée ainsi d´après le texte pieux lu à cette occasion (les collationnes de Jean Cassien).

En sus du quadragesima (Carême en latin ou période de quarante jours) destiné pendant sept semaines à préparer la Pâques, l´Eglise chrétienne recommande de jeûner le vendredi et souvent le samedi de chaque semaine ; les dévots jeûnent aussi le mercredi et pas seulement celui des Cendres.

Dans ses mémoires  Sainte-Thérèse d´Avila, alors infirme écrivait ceci :

« Dieu m´éclaira sur cet artifice du démon. M´objectait-il la perte de ma santé, je disais : il m’importe peu que je meure. Me parlait-il de la perte de mon repos, je répondais : je n'ai plus besoin de repos mais de croix et ainsi du reste. Je vis clairement que malgré des infirmités réelles, je cédais en bien des circonstances à la tentation de cet esprit des Ténèbres ou à ma propre lâcheté. Par le fait, depuis que je me traite avec moins de soins et de délicatesse, je me porte beaucoup mieux. On voit par-là combien il est nécessaire aux commençants de dominer toutes ces vaines terreurs de l´imagination. Je les prie de s´en rapporter là-dessus à mon expérience. ».

Ainsi parlait une sainte, qui, aujourd'hui, à l’heure du tout santé et les recommandations contre les méfaits du tabac sur les paquets de cigarettes, serait vraiment politiquement incorrecte. Le démon nous persuade que tout va nous tuer ou du moins nous ruiner la santé.

Pour une vie de recueillement et d´oraison, nous n'avons besoin du nécessaire et nous croyons, tant nos cœurs sont étroits, mourir si nous oublions ce corps pour nous occuper de notre âme.

Au début, j’allais pour « éliminer » dans une salle de sport marcher des kilomètres sur un tapis roulant ultra sophistiqué. En ce lieu, il y a des coachs, des moniteurs de sport à qui on remet son corps pour qu'il le remodèle au prix d´efforts atroces. Dans la vie de ces sportifs, ces conseillers remplissent la fonction d´un gourou laïc qui dispense non seulement un entraînement physique mais aussi une orientation morale et spirituelle. Un coach est une personne à qui on offre son corps comme Jésus l´a fait au prix de douleurs et de sacrifices.

Dans quelle misère spirituelle se trouve le monde d’aujourd’hui pour chercher des substituts religieux dans un sentiment transcendant de perfection à travers l´abnégation, dans une quête ascétique de contrôle du corps ?

Moi, j'ai décidé que mon coach serait Jésus. Je veux m´en remettre complètement à lui, corps et esprit.

Dans le monde, les mortifications reviennent à la mode : régimes amaigrissants, chirurgie esthétique ou sport intensif nous aident à lutter contre le diable moderne : la graisse et le poids. Pourquoi cette volonté de perdre sa densité ? Pourquoi prendre le contrôle sur cette porte qui permet d’entrer en communion avec les autres et avec Dieu ?

Je pense au culte à outrance du sport en salle qui devient l´équivalent de la masturbation : nous regardons nos corps comme un homme le ferait de son sexe en érection, jaugeant la longueur, la forme, la fermeté et se demandant comment améliorer ses performances. C'est de l´orgueil mal placé.

Notre monde est centré autour de la nourriture. Les gens se retrouvent pour manger, les restaurants ne désemplissent pas, chacun aime parler de son dernier ou de son prochain repas et les fêtes sont toujours l’occasion d’orgies alimentaires. A toute heure du jour ou de la nuit on peut trouver à manger à Paris : dans des épiceries, des crêperies, des restaurants, des kebabs ou des traiteurs chinois.

Souvent les gens aiment manger en groupe. Je ne comprends pas pourquoi et je trouve même que c’est le comble de l’indécence.

Tout ce qui ressemble de près ou de loin à un repas familial me rebute : toute cette nourriture préparée et servie dans une assiette me donne la nausée. Il y a quelque chose d’épuré, de sobre, à servir les repas dans un bol : il habille et cache son contenu alors que l’assiette l’étale de façon vulgaire.

Mais l’idéal, pour moi, serait qu’il existe une pilule m’apportant tous les nutriments nécessaires, à avaler chaque matin.

D’ailleurs, je considère les aliments comme des médicaments : je sais que les protéines sont des éléments nécessaires qui nourrissent directement les muscles et je n’ai donc aucune appréhension à en consommer. Pour le reste, je contrôle les calories et essaie de bannir les sucres et les graisses. J’aurais tout intérêt à prendre des actions dans les firmes de produits allégés !

 

Avaler, mâcher de la nourriture pour l’introduire dans son corps : c’est un acte intime presque sexuel. Je ne supporte ces mâchouillements, les bruits que font nos bouches avant de déglutir. Quand j’entends ma tante au dîner qui mastique et avale, ça me fait le même effet que si elle était en train de se masturber devant moi ; c’est immonde et vulgaire. J’exècre qu’on me regarde manger comme je déteste qu’on m’observe quand je suis en train de m’épiler. C’est vulgaire d’offrir aux yeux des autres ces mastications d’aliments qui sont en train de se transformer en bouillie. Regarde ce qui sort quand tu vomis, n’est-ce pas dégueulasse ? Je fuis ces cérémonies indécentes de repas en commun en me privant du sentiment de partage que peut générer la nourriture.

Je ne veux pas répéter cette scène primitive : ces bruits de succion me rappellent une chasse d’eau.

S’alimenter devrait  être une chose cachée que l’on effectue seul dans le noir, un mal nécessaire que, par charité, on n’impose pas aux autres.  Si j’accepte de partager un repas, j’ai trop peur, soit de ne pas manger, ce qui incommode l’autre et qui est obligé de faire un one-man show, soit de ne pouvoir me maîtriser en ingurgitant une quantité astronomique de bouffe et de me rendre ainsi ridicule. Le plus sage et le moins compliqué est donc d’éviter ces rencontres et de refuser toute invitation.

De toute façon, tout livre de diététique nous enseigne que nous mangeons trop dans notre société alors que nous vivons de manière sédentaire. Nous n’allons plus à la chasse, à la pêche ou à la guerre : pourquoi manger trois fois par jour ?

Quand on jeûne, on connaît à nouveau la véritable faim physiologique et non ce creux artificiel du fond de l’estomac stimulé à heures fixes par le cerveau qui compense ses tensions en se souvenant du plaisir qu’il a à manger.

Il existe une addiction à la bouffe identique à la dépendance au tabac ou à l’alcool : plus on mange, plus le ventre réclame davantage et c’est sans fin, ce cercle de la faim. En particulier en ce qui concerne le sucre : il fait augmenter l’index de glycémie dans le sang dès qu’on ingurgite une viennoiserie ou une barre chocolatée, puis peu de temps après, on se retrouve en état d’hypoglycémie devant un distributeur de chocolats sur un quai du métro, obligé d’absorber à nouveau un aliment sucré comme un junkie qui réclame à nouveau sa dose pour survivre.

Dans  cette lutte perpétuelle contre ce qui m’est vitale, je voudrais vivre dans un monde sans bouffe où on n’aurait jamais la nécessité de travailler pour vivre, pour manger, un lieu où ce vide, ce manque qu’on appelle faim ne nous pousserait pas aux pires atrocités pour se rassasier. Et puis, j’aime cette silhouette pure qui laisse apparaître les os. On s’attache à cette chair encombrante qui ne nous suivra pas dans la tombe, à ces seins, ces formes qui dépassent et nous renvoient à l’état de vaches laitières. Oh ! Comme je rêve à un buste plat, à des cuisses de grenouille, à un corps qui oublie ce sang mensuel. Toutes ces règles imposées par l’extérieur et qui nous reviennent périodiquement m’horripilent, comme tout ce qui est à recommencer inlassablement : manger, se laver, faire le ménage…etc., etc.

Je voudrais que l’ordre soit permanent, que tout soit d’emblée parfait sans que l’on ait sans cesse à répéter les mêmes gestes.

Il suffit de visiter une seule fois une décharge publique pour se rendre compte du nombre de détritus que nous engendrons rien qu’en mangeant. La nourriture est le véritable fléau universel dont personne ne parle. Le péché originel n’a-t-il pas débuté par l’acte de manger ?

Manger en grosse quantité est le résultat d’une propagande véhiculée par les diététiciens qui soutiennent qu’il faut trois repas par jour.

J’alterne tous les différents types de régime à la mode : le régime protéiné, la mono diète, le régime « riz »… Je trouve que ce n’est pas une occupation moins valable que par exemple l’obsession des vêtements ou du sport. Moi, j’expérimente tous les moyens d’absorber la matière qui me compose et en ce sens, je vais directement à l’essentiel dans le souci de mon apparence : ma parure, c’est la chair qui se rétracte. mes trois vœux à moi : contrôle, pureté et jeun.

Une fringale de mouvements remplit le vide en moi : je parcours des heures durant les rues de Paris. Pendant que je marche, je sens que mon corps puise de l’énergie dans mes muscles : en vérité, je me sens maigrir et c’est un état divin comme si j’avais le pouvoir de remodeler mes cuisses. Quand je m’ausculte dans le miroir, je me coupe en deux : le haut me convient, mon buste est plutôt fin avec des seins minuscules et mes os apparaissent en transparence au niveau des épaules. Mais sous la taille, c’est horrible : la chair est flasque, mes fesses et mes cuisses sont boudinées.

Je rêve d’un corps androgyne qui ne soit ni homme ni femme , un corps lisse, ferme, sans rondeur et sans gras. Ce n’est qu’en me sacrifiant moi-même, en me dépensant que j’arriverai à ce but : c’est une bataille sans fin et sans faim car je fais la guerre à la nature qui veut que les femmes aient des réserves de cellulite et des formes.

Je ne pense plus à la nourriture mais je ne pense qu’à fondre mes réserves de graisse. Bizarrement, j’ai remarqué qu’en mangeant peu je perds plus de poids qu’en jeûnant totalement. Je crois qu’en digérant nous consommons de l’énergie.

En croyant choisir l´essentiel, en me dégageant de moi-même en niant la substance, je me suis affranchie de la réalité en privilégiant les instants à la durée, la représentation (les substituts) à la vie, la sensation à la sensibilité, les idées au désir et le contact au lien.

Si je n’ai pas pu faire autrement que maigrir, ce n'est pas parce que je voulais accéder à un corps idéal destiné à plaire. Non, j'ai voulu que mon corps disparaisse par le biais de la maîtrise de ce que je mangeais. C’était la seule chose que je contrôlais et que je ne subissais pas : mon seul choix, ma seule identité et le seul défi que je pensais réussir à dépasser : générer ma propre substance et être la source de vie.

Mais il existe bel et bien une euphorie du jeun, une jouissance à se retrouver dans cet état de vacuité plus transcendant qu'un ventre repu.

Je ne sais pas si l´anorexique s´en rend compte ou peut-être s´en rend-il trop compte : devant l´énormité de cette responsabilité de sorcier, il pense qu'il ne mérite pas de participer à cette transformation du monde qui le dépasse. Je dis « il » mais je ne parle que de moi.

Je crois que si trop manger nous rend inerte et nous abat, c'est parce que nous avalons de la nourriture en nous gavant sans mesurer l’importance de cette transmutation.

Moi, j'ai essayé de me libérer de toute contingence matérielle en maîtrisant mes émotions, mes sensations et mes sentiments. Mais tout me rattrape dans des fringales horribles, c'est un combat perdu d´avance. J'ai voulu être autonome, libre et sans contrainte. Etre mon propre maître, mon propre juge et ma propre conscience dans un orgueil démesuré. En refusant d´être dépendante de la nourriture, je refuse d´être dépendante de celui qui m´a engendré, d´être dépendante de ma mère et de Dieu. C’est une spirale sans fin car en m´évertuant à ne pas être dépendante de la nourriture, celle-ci devient une obsession qui m´enchaîne.

On m´a fait naître mais on ne m´a pas expliqué le mode d´emploi de la vie ; il me manque la notice. Je ne me sens pas en vie mais je ne me sens pas morte non plus : je suis toujours en train de mourir et ça dure depuis trop longtemps pour que je puisse encore survivre longtemps. Il est des jours où l'on voudrait se fuir, où l'on ferait n’importe quoi pour s´oublier et pour oublier ce que l'on vit. Il y a des moments où je ne peux plus me supporter, porter ce poids. C'est atroce : je me hais comme après une crise de boulimie, je ne peux plus me voir, me sentir respirer et sentir battre mon cœur.

Ce n’est pas pour rien si le Christ s’est donné lors d’un ultime repas : manger consiste aussi à une communion avec les autres : on incorpore ensemble de la nourriture avec le même goût en même temps. Je conçois que c’est un acte très intime que de faire sien le monde extérieur et c’est même de l’alchimie puisque nous transformons la matière pour l’assimiler dans notre corps. C’est vrai qu’il faut avoir conscience que ce n’est pas un acte banal mais il ne faut pas en faire une fixation non plus : se nourrir quand on a faim en veillant à ce que notre corps soit en bon état de marche. Rendre grâce pour la nourriture qu’on va assimiler est aussi important.

Jésus aimait manger mais ne s´empiffrait jamais. Pour les juifs, il ne s’agit pas de manger n'importe quoi, n’importe comment ni à n’importe quel moment. La joie lui donne faim et pour lui, l´acte de manger est une action de grâce, un partage et une communion.

Il a tout compris : le corps transforme les éléments en énergie et il s’agit de prendre conscience de ce processus alchimique et divin.

Moi, j'ai essayé de me libérer de toute contingence matérielle en maîtrisant mes émotions, mes sensations et mes sentiments. Mais tout me rattrape dans des fringales horribles, c'est un combat perdu d´avance. J'ai voulu être autonome, libre et sans contrainte. Etre mon propre maître, mon propre juge et ma propre conscience dans un orgueil démesuré. En refusant d´être dépendante de la nourriture, je refuse d´être dépendante de celui qui m´a engendré, des autres et de Dieu. C’est une spirale sans fin car en m´évertuant à ne pas être dépendante de la nourriture, celle-ci devient une obsession qui m´enchaîne.

 

 

Première station : Jésus est condamné à mort.

 

Celui qui avait accompagné et aimé ceux qui souffraient le plus, traité comme une merde par les bien-pensants qui avaient le pouvoir.

Mais souvent, nous nous condamnons nous-mêmes…

 Quand on plonge dans l’anorexie, on n’a pas l’impression d’un acte délétère mais d’une démarche qui sauve : l’euphorie est si présente, le sentiment de puissance de contrôler tout ce qu’on ingère dépasse tout ; on veut se transcender.

Moi qui ai toujours critiqué la religion et ses règles, je n'avais pas conscience du credo que je m´impose au niveau alimentaire :

Pas de gras et de sucre ne mangeras sinon tu te feras vomir ou des exercices physiques punitifs tu feras.

Pas plus de cent calories à la fois ne mangeras.

Des protéines en quantités tu mangeras.

Pas de plaisir en mangeant tu n´auras

Je suis lâche : tout m´enseigne que ce corps haï, bafoué, désincarné me représente moi et rien que moi, qu'il est ma vie que je tiens entre mes mains et qu'il ne tient qu´à moi de la garder pour la sauver.

En croyant choisir l´essentiel, en me dégageant de moi-même en niant la substance, je me suis affranchie de la réalité en privilégiant les instants à la durée, la représentation (les substituts) à la vie, la sensation à la sensibilité, les idées au désir et le contact au lien.

Si je pèse aujourd'hui si peu, ce n'est pas parce que je voulais accéder à un corps idéal destiné à plaire. Non, j'ai voulu que mon corps disparaisse par le biais de la maîtrise de ce que je mangeais. C’était la seule chose que je contrôlais et que je ne subissais pas : mon seul choix, ma seule identité et le seul défi que je pensais réussir à dépasser : générer ma propre substance et être la source de vie.

Ne pas manger, ne se nourrir de rien est une idée fixe qui éloigne autant que le vice de manger sans cesse.

Est-ce qu'il a vraiment porté tout ça avec moi ?

La bouffe – je préfère ce mot à « nourriture »  ne me nourrit pas mais me consume et rend mon corps bouffi quand je cède à ses avances.

C'est comme si j'étais mariée avec elle car comme avec tout ce qu'on aime passionnément, je passe par des moments de folles attractions suivis de moments de répulsion où je lui résiste comme une chaste et pudique jeune fille en  lui permettant de me pénétrer seulement quand je l’aurais décidé ou en la rejetant en bloc dans des jeunes prolongés, mon ventre vide la défiant pour ensuite céder et la retrouver dans des orgies où je m´abaisse à dévorer tout ce que je m´interdisais auparavant.

Chaque matin commence par une longue inspection de mon corps devant le miroir : j´observe où les os pointent à travers la peau, où la chair est trop présente comme sur mes cuisses, mes fesses, mes seins, toute cette masse dégoulinante de féminité que j´aimerais perdre.

Puis, je me pèse : mon humeur varie selon l´aiguille sur la balance : bonne humeur si mon poids baisse ou se stabilise, je deviens exécrable si j'ai grossi.

Ensuite, je me lave et me tartine de crèmes amincissantes plus chères hors de prix et me racle la peau jusqu´à en saigner avec un gant de crin. Martyriser mon corps est la seule façon pour moi d´en sentir les contours et même l'existence.

Enfin, l'activité qui me prend la majeure partie de la journée est de faire les courses successivement dans plusieurs magasins. J´inspecte toutes les étiquettes des produits allégés pour connaître la proportion de lipides et le nombre de calories qu'ils contiennent. Puis, je vais dans une pharmacie suffisamment éloignée de la maison pour ne pas y croiser des connaissances pour me fournir en substituts de repas, barres protéinées, laxatifs  et pilules aux plantes pour « éliminer ».

Presque tout mon argent y passe.

Je voue une passion sans bornes pour les supermarchés car je garde l'illusion que c'est un endroit qui répond à tous les besoins de l´homme. Une passion est une activité à laquelle on consacre du temps et de l’énergie : pour certains c'est l´appât du gain, pour d´autres la télévision, l´alcool ou le sexe mais ça peut être aussi le dressage de son corps par des régimes amaigrissants.

Autrefois, on allait à la chasse, à la pêche ou à la cueillette, aujourd'hui notre terrain de guerre est les supermarchés et nos uniques armes, l'argent.

Ce lieu où se retrouve tout type d´individus de classes sociales différentes tous réunis pour le même but : ramener des réserves à la maison, n'est-il pas touchant ?

 Ce que je préfère, c'est regarder dans les caddies des autres quels articles ils achètent et de là m´imaginer leur mode de vie. Ainsi, on peut remarquer que les femmes célibataires se nourrissent de salades, légumes et yaourts alors que leurs équivalents mâles choisissent plutôt la viande, la charcuterie, le fromage et le vin.

Je pénètre dans ce temple de la consommation.

Toute cette variété de nourriture bien rangée dans les rayons m´excite et m´angoisse à la fois. Je veux faire des stocks de bouffe car je sais que demain quand j´arriverai à la communauté, il n'y aura plus moyen d´acheter de la nourriture.

Le rayon que je préfère, celui des produits diététiques, était long d´au moins dix mètres : j'ai pu m´acheter mes substituts de repas protéinés préférés au caramel, des biscuits aux grains de sésame et d´autres choses protéinés dont je ne me souviens plus de la forme, l´important étant les nutriments qu'ils contiennent et leur nombre de calories.

J´angoisse si sur l´emballage de l´aliment, il n'est pas indiqué le nombre de calories. Je ne mange plus d´aliments, je mange des calories, des pourcentages de protides et de graisses : c'est le véritable indicateur de ce que je consomme et j'ai l´impression de garder le contrôle.

Moi qui ai toujours été médiocre en additions, je réussis à faire des calculs mentaux d´apothicaire pour évaluer ces fameuses calories.

Un paquet de trois cent cinquante grammes contenant dix pains au lait ayant une valeur énergétique de trois cent quatre-vingt-quatre calories pour cent grammes. Calculez le nombre de calories pour un pain au lait.

On dirait des problèmes d´école primaire.

Réponse : cent trente-cinq calories environ en arrondissant à la dixième de calories supérieure. Les préoccupations alimentaires me rendent arithmomane.

Puis, je marche vers la zone des produits laitiers allégés : fromages blancs aromatisés, compotes et riz au lait. Rien que des aliments infantiles faciles à avaler et à régurgiter en cas d´orgies.

Comme je n'ai honte de rien, je fais logiquement une razzia au rayon des petits pots aux fruits pour bébé. Avant d´accéder aux caisses, je parcours le rayon confiserie/chocolat pour tester ma volonté : je caresse les tablettes de chocolat noir aux noisettes et résiste.

Malgré toutes ces sollicitations, je m´en sors sobrement avec quatre petits pots fraise-pêche et pomme-banane-myrtille, deux îles flottantes allégées à cent calories chacune, un paquet de biscuit au sésame (cinquante calories chacun) et quatre substituts de repas au caramel.

Dans une crise de boulimie, il n'y a aucune pause qui permette la conscientisation : on mange sans arrêt, on se remplit comme un entonnoir, on se suicide par gavage sans aucun plaisir sinon celui de se vider après. Je voudrais vomir tout le dégoût, la haine et la violence que j'ai en moi.

Le seul moyen que j'ai trouvé excitant pour supporter la vie, c'est la nourriture, cette drogue légale puisqu´elle se vend partout et coûte peu. Mais comme je ne peux tolérer que mon corps grossisse, je lui fais la guerre.

Ne pas manger, ne se nourrir de rien est une idée fixe qui éloigne autant que le vice de manger sans cesse.

Cette lourdeur dans l´estomac quand il se remplit m'est insoutenable. Quand je me vide, je retrouve cet état de vacuité et là je me perçois en communion avec le monde : je suis à la fois vivante et vidée, sans aucune force, je suis ivre de ne pouvoir me passer de ce manque.

J’alterne tous les différents types de régime à la mode : le régime protéiné, la mono diète, le régime « riz »… Je trouve que ce n’est pas une occupation moins valable que par exemple l’obsession des vêtements ou du sport. Moi, j’expérimente tous les moyens d’absorber la matière qui me compose et en ce sens, je vais directement à l’essentiel dans le souci de mon apparence : ma parure, c’est la chair qui se rétracte.

Une fringale de mouvements remplit le vide en moi : je parcours des heures durant les rues de Paris. Pendant que je marche, je sens que mon corps puise de l’énergie dans mes muscles : en vérité, je me sens maigrir et c’est un état divin comme si j’avais le pouvoir de remodeler mes cuisses. Quand je m’ausculte dans le miroir, je me coupe en deux : le haut me convient, mon buste est plutôt fin avec des seins minuscules et mes os apparaissent en transparence au niveau des épaules. Mais sous la taille, c’est horrible : la chair est flasque, mes fesses et mes cuisses sont boudinées.

Je rêve d’un corps androgyne qui ne soit ni homme ni femme, un corps lisse, ferme, sans rondeur et sans gras. Ce n’est qu’en me sacrifiant moi-même, en me dépensant que j’arriverai à ce but : c’est une bataille sans fin et sans faim car je fais la guerre à la nature qui veut que les femmes aient des réserves de cellulite et des formes.

Deuxième station : Jésus est chargé de sa croix

Ca je comprends bien, on porte la douleur du monde sans solution de délivrance. Je me revois dans ces journées de boulimie passées à bouffer et à dégueuler au-dessus des toilettes sans pouvoir m´échapper même par la pensée, seule à en mourir.

Je n’arrive pas à concevoir qu´à ce moment-là Il était en moi et portait ma souffrance. Et pourtant je priais sans le savoir, sans le nommer : « Faites que ça s´arrête, je vous en supplie ».

Je ne connaissais pas encore la parole « Déchargez-vous sur Lui de tous vos soucis, il prendra soin de vous » Pierre, 5-5.

Dieu nous a laissé un monde inachevé, imparfait, et c’est à nous d’en faire un paradis en prenant nos responsabilités.

Lui n'avait pas le choix, il était cloué, immobilisé et impuissant. Moi avec mes problèmes de nourriture, j'ai tous les moyens en moi pour agir avec courage et lutter contre leur emprise. Avec son aide, je peux me modérer et comprendre que je peux manger peu sans être tentée de jeûner ou de bâfrer, tout en arrêtant de grossir sans limites et sans en avoir peur. Ma quête de pureté est louable mais je ne l’exprime qu’en termes de désir laïc qui est de parvenir à une certaine apparence physique extérieure.

Je trouve que les seins et les hanches sont laids et que le corps féminin normal est mal fait : je veux aller à l’encontre de la Nature, redevenir une enfant sans formes. Pour cela, je suis prête à me rendre malade, pourquoi refuser d’être une femme en bonne santé ? Pour qu’on me plaigne, ce qui m’évite de prendre tes responsabilités en faisant partie du monde des vivants ?

Le sentiment de n´être rien, de ne pas être maître de ma destinée, de vivre par devoir s'est évanoui subitement. Je me retrouve comme une enfant démunie qui ne saurait ce qu'elle veut tant elle a agi conformément à ce qu'elle pensait qu'on attendait d´elle pour qu'elle soit une bonne petite fille.

 

 

Troisième,  septième et neuvième stations : Jésus tombe pour la première fois, la seconde fois et la troisième fois

Tomber de faiblesse et d´épuisement après avoir vomi aux toilettes jusqu'au sang pour s’assurer que l´estomac est vide de toute impureté : Quand la bile écœure, vomir encore de révolte et de détresse, à moitié nue sur le carrelage.

La véritable liberté serait de faire des repas suffisants pour avoir de la force et de ne plus y penser.

Mais une seule fois, ne suffit pas quand trop faible, on sait que ça va recommencer.

On se lève le matin en se disant qu'on va manger sain, équilibré et en petite quantité. On ne sait plus ce qu´est une quantité normale, on se laisse aller car le corps est en manque de nutriments essentiels et vite l´estomac pèse. On pense alors à ce poids, à toutes les calories en nous et on sent déjà son corps enfler même avant d'avoir commencé à digérer. On se dit que scientifiquement ce n'est pas possible et on contrôle dans le miroir. Les cuisses se gonflent et le ventre aussi ; l’image se déforme. On pense que ce serait si facile de vomir, on rejette cette idée et cherche à occuper autrement l'esprit. On se dit qu´au point où on en est, il faut encore manger plus pour se faire vomir plus facilement, les aliments passent par la bouche sans plaisir, d'abord ceux d'une certaine couleur pour les reconnaître plus facilement dans la cuvette, puis des yaourts et du liquide pour faciliter l´évacuation. Et on retombe dans les chiottes une deuxième fois en se disant que c'est la dernière. Vraiment, plus jamais.

Et la troisième :

Là, je me reconnais encore, méprisée mais malheureusement aussi méprisante, familière de la souffrance, je retombe toujours dans les mêmes eaux troubles, les mêmes tuyauteries et mon estomac relié à tous les égouts de la ville.

Pardonner soixante-dix-sept fois sept fois, est-ce vraiment possible ?

Le soir, quand j’estime avoir trop mangé, je me cloitre dans ma chambre et mange mes substituts de repas et mon paquet de biscuits au sésame. Total estimé : neuf cent vingt calories pour les substituts plus mille calories pour les vingt biscuits : j'aurais mieux fait d’avaler un vrai dîner, la note aurait été moins salée.

Après, je me sens coupable de m´être fait vomir et prends un somnifère pour ne plus penser et sombrer dans le sommeil.

A force de me gaver de substituts de repas, je me retrouve avec des substituts de vie qui ressemblent étrangement à la mort.

Le lendemain matin, je me réveille pleine de bonnes résolutions. Manger un peu au déjeuner, ce dont je suis incapable d’habitude, m´a paru cette fois reposant puisque j'étais de bonne humeur. C'est l'après-midi et le soir que mon comportement alimentaire se gâte au fur et à mesure qu´augmente mon angoisse de ne pas pouvoir contrôler le plein et le vide en moi.

 

Quatrième station, Cinquième, Sixième et Huitième  stations : Jésus rencontre sa mère, Simon de Cyrène porte la croix derrière Jésus et Jésus console les filles de Jérusalem

Quelles aides et quelles consolations ?

Une maman ne vous laisse jamais tomber et est toujours présente même si c’est extrêmement dur de la faire souffrir en lui montrant ses faiblesses et sa souffrance. J'ai de la compassion pour elle qui s'est sacrifiée pour moi et que je déteste quelquefois de m’avoir mise au monde  autant que je l’aime. Elle m´a choyée, a tenté de me comprendre et de rétablir la communication devant mes refus bornés et mes rejets.

Les amis sont précieux mais je m’enferme dans mon orgueil en culpabilisant de leur demander de l’aide. Mon meilleur ami Stéphane ressemble au petit prince qui aurait été catapulté dans la jungle urbaine. Petit, très mince, il possède une superbe chevelure blonde et très longue qu'il retient par un catogan de soie rouge. Mais surtout, ce sont ses yeux limpides d´un bleu turquoise qui ne passent pas inaperçus : il a un regard de petit garçon où se mêlent l´étonnement d´être sur cette planète et la naïveté de croire qu'elle puisse être meilleure. Chaque chose est placée à l´endroit juste et l'ensemble donne une incroyable atmosphère de plénitude et de paix. Dans le coin, près de l´unique fenêtre, il y a sa « salle de bain » : en réalité un grand lavabo qui lui sert également d´évier.

Il est l´être le plus propre et le plus parfumé que je connaisse. La tablette au-dessus de son lavabo regorge de gels douche à l´ylang-ylang  et de sels de bain, lui qui n'a ni douche ni baignoire. Il ne possède en tout et pour tout que deux jeans et trois tee-shirts. Jamais je ne l´ai vu faire du shopping, ça ne l´intéresse pas.

Mais que fait-il ? Il lit énormément, il médite, il se promène dans les rues parisiennes, fait du Taï Chi Chuan dans les parcs ou parle aux oiseaux. C'est un amoureux du silence et de la solitude.

Il peut rester longtemps sans parler en ma présence sans que je le trouve impoli ou que je me sente mal à l´aise, contrairement à ma tante qui cherche toujours à meubler le vide. Mais quand il s´exprime, c'est sans fioritures : il va directement à l´essentiel, ce qui peut paraître violent.

La première question qu'il m´ait posée lors de notre première rencontre, était : « Alors, quel sens a la vie pour toi ? ». D´emblée, je lui ai répondu : « Aucune. Malheureusement. ». Stéphane est ce genre de personne qui déteste les débats et les paroles inutiles. Après une séance de cinéma, il restera dans le silence sans se sentir obligé de polémiquer sur le message du réalisateur et sans me retranscrire une scène du film que j´avais vue autant que lui. Juste l’émotion nous suffisait : sans commentaires, juste le visuel et la musique des bruits environnants.

 La solitude dans laquelle je m´enferme parfois pleine de rancœur n'est qu'un refus d'aimer et de se laisser aimer. Alors que certains amis sont des anges…

C’est pour cela que j’ai commencé à lui écrire à la main. Une telle absence de nouvelles physiques est peut-être impardonnable mais les personnes qui s’aiment vraiment, les vrais amis, sont en dehors du temps, savent reconnaître la présence dans l’absence, (Jésus, n’en est-il pas le signe réel ?), accueillir et pardonner tel le fils prodigue quand il revient du pays de l’indicible que ce soit dans l’extrême douleur ou l’extrême plaisir.

Les gestes témoignent quelquefois plus d´amour que les paroles.

Quand vannée d'avoir perdu ma journée à bouffer et vomir, je me réfugiais chez Stéphane qui, sans un mot, me préparait un thé au gingembre sans sucre qui me rafraîchissait la bouche. Il me lavait de toute cette saloperie.

En italien, on traduit « aimer » par un terme qui veut dire « vouloir du bien » et c'est cela l’Amour. En français, la langue est mal faite. On dit aimer sa mère comme on dit aimer la langue de bœuf , ces mots ont perdu de leur sens, c’est mot magnifique qu'on met à toutes les sauces gastronomiques.

Il suffirait d’une seule personne qui me porte de l´intérêt et m’accepte telle que je suis pour que je puisse découvrir la véritable valeur de la vie. Juste un être qui me dise : « Merci d'exister, je t'aime comme tu es ». Mais je ne pourrais recevoir cette aide que si j’accepte de me laisser aller et de faire confiance. Et de ne plus me renfermer pour essayer de me sentir protégée de tout. Oser demander de l’aide…

Il faut prier pour les plus pauvres, ceux qui ont honte de leur souffrance, malades et seuls, ceux qui ne peuvent pas sortir car l´acte essentiel de la vie, se nourrir est source de trop d´angoisse. Qui peut aimer quelqu'un dont la principale occupation est de se faire vomir ? Jésus, peut-être.

 Je ne parle même pas de la culpabilité de faire du mal à son entourage impuissant à changer les choses.

Je recherche dans les dépendances avec ou sans produit,  ce que tout le monde peut trouver dans le quotidien. Je sais que je peux décider que le bonheur est ici et maintenant lorsque je regarde une feuille d'automne orangée, lorsque tu captures un rire d’enfant ou te laisses emporter par une musique transcendante. Je peux CHOISIR le bonheur. Thérèse de l’enfant Jésus  disait que plutôt que de faire des choses extraordinaires, il valait mieux faire extraordinairement des choses ordinaires. La beauté est dans le monde, toute proche de moi. Je crois que la vie te tourne le dos, alors que c’est moi qui tourne le dos à la vie.

 

Dixième station : Jésus est dépouillé de ses vêtements.

La honte et l’humiliation…

Ma maigreur viole le regard d´autrui pour le forcer à voir l’ombre de la mort, le seul choix que j’ai pu faire plutôt qu’une vie non choisie. Mon obsession du poids n'est que le reflet d'une difficulté à trouver ma place.

Je  dois à la fois faire le deuil de l´absolu afin de le retrouver mais autrement sans le chercher.

Ainsi, j’apprendrai à utiliser mon énergie que je perds dans une guerre contre moi-même.

Un jour, il y eut une fin et une non faim qui apparurent quand quelqu’un utilisa mon corps comme un objet. Personne ne semblait le remarquer, j'étais seule au monde et je n´existais plus. On aurait accordé plus d'importance á une morte. Je voudrais me fuir, oublier, ne plus penser à ce corps trop lourd et trop encombrant. Même quand j´essaie de me démolir, ce corps, le fond de moi-même reste intact, la peur, les angoisses ne me quittent pas comme une seconde peau.

 Je culpabilise car j’ai ressenti du plaisir lors de ces attouchements et je croyais que c'était un signe de consentement, alors que mon corps a eu une réaction mécanique et instinctive et que ma tête criait non.

L´alcool a joué un rôle désinhibiteur et euphorisant qui a empêché ma bouche de crier. Je sais que je n’ai pas été consentante : mon corps crie encore actuellement sa détresse par les angoisses, l´anorexie, la boulimie et l´insomnie.

Ma première crise d´angoisse : une sensation de mort imminente qui durait une éternité, une désorientation totale et un poids sur la poitrine qui me faisait suffoquer. Ce que je ne savais pas, c’est que cette crise était la première d´une longue série.

Le lendemain matin, je me suis retrouvée dans l´incapacité de soulever mon corps et de le sortir du lit. Tout mon dos était collé au matelas et l’effort qui aurait consisté à me mettre en position verticale me semblait surhumain.

Je me sentais comme une loque : une chose posée là sans émotion et sans intelligence. J'ai essayé de lire mais mon esprit avait déjà oublié les deux premières lignes quand j´arrivais à la troisième. Je devenais idiote : ma mémoire flanchait tant que je devais me faire des listes écrites des choses à faire comme me laver les cheveux ou acheter du pain. Même le désir de boire ou de fumer m'avait quitté : je découvre, depuis que je prends des antidépresseurs, la réalité comme une chose curieuse. Les choses et les gens sont là comme d'habitude mais mon regard change alors que le monde est toujours identique : une succession de vide et de plein toujours en mouvement comme mes émotions, comme la nourriture qui rentre et sort de moi et comme le vide dans mon estomac.

Depuis ce jour, je me sens sale : il a détruit ce qui devrait me faire vivre, ce qui passe par la bouche : les paroles et la nourriture. Je ne supporte plus de manger et d'avoir cette sensation de ventre plein : j'ai l´impression monstrueuse que l'on pénètre au plus profond de moi. Alors, toute la journée, je mange le minimum et uniquement des aliments légers qui ne pèsent pas dans l´estomac : du lait, des œufs en neige et des yaourts. Tous les plats me donnent la nausée, surtout ces plats très cuisinés avec toutes sortes de sauces ou d´épices. Je ne supporte pas ces plats sophistiqués que je sais délicieux et raffinés mais qui m’étouffent.

Les plats bruts, les aliments peu cuisinés ne me dérangent pas. Je trouve qu'il y a quelque chose de vulgaire á vouloir relever le goût de façon compliquée mais manger est déjà un acte primaire en soi. Le ventre vide me met dans un état second : j'ai la tête qui tourne légèrement, les membres aériens et je ressens une ivresse qui me rend euphorique.

Ce que nous ingérons n'est pas anodin comme l’air que nous respirons, la musique que nous écoutons et les images que nous voyons. Tout cet environnement nous forge et il faut y être attentif.

Le sexe a toujours été pour moi un mystère : comment peut-on appeler « faire l´amour » ce qui relève d´un comportement ridicule qui relève plutôt de la boucherie mécanique ? Quel est le rapport de cette chose avec la tendresse d´un regard ou d´un sourire ? Trifouiller dans ce corps revient à un acte plus chirurgical qu´amoureux. Enfin, je n’ai jamais eu d`expérience en ce domaine et cela ne m´intéresse pas d´être considérée comme un morceau de viande. Au moins, toi, tu es débarrassée de cette préoccupation, alors que dans notre société, les relations sexuelles sont obligatoires si on ne veut pas être considéré comme un paria : le corps nu est partout dans la rue, les affiches et les magazines. Seule, la nature a gardé un semblant de virginité.

Quand je m’observe dans un miroir après avoir mangé, je peux sentir mon ventre gonfler, mon estomac se dilater comme si les aliments ingérés produisaient immédiatement des transformations sur mon corps.

Mes cuisses et mon ventre enflent à vue d’œil, ma cellulite double de volume et je ne supporte pas cette masse adipeuse et vulgaire, comme un corps qui me devenait étranger.

J'ai prié pour ne pas me faire vomir, pour ne pas évacuer cette insupportable sensation de plein. Je suivais avec effroi la nourriture stagnant dans mon tube digestif comme un élément envahisseur du type alien, une entité non maîtrisable porteuse de désastres et de catastrophes dans chaque étape du processus digestif. Voilà mon malheur, je suis trop consciente de ce qui se passe à l'intérieur de mon corps.

L'autre jour à la bibliothèque, j'ai trouvé une citation d´un prédicateur du Moyen-Age nommé Odon de Cluny qui date du Xème siècle :

« La beauté du corps est tout entière dans la peau. En effet si les hommes voyaient ce qui est sous la peau doués comme le lynx de Boetie d´intérieure pénétration visuelle, la vue seule des femmes serait nauséabonde. Cette grâce féminine n'est que suburre, sang, humeur, fiel. Considérez ce qui se cache dans ces narines, dans la gorge, dans le ventre : saletés partout. Et nous qui répugnons à toucher même du bout des doigts la vomissure ou du fumier, comment donc pouvons-nous désirer de serrer dans nos bras le sac d´excréments lui-même ».

Chaque cheminement est différent mais je ressens le besoin de ne pas me limiter qu’au corps car ça m´enferme dans mes troubles plutôt que de me guérir.

J'ai le projet durant cette année de devenir une ascète du Christ et de purifier mon corps et mon âme pour arriver immaculée dans les bras du Seigneur. Personne ne pourra me faire changer d´avis car c'est Sa demande.

Quand je vois des personnes s´empiffrer, je pense au discours de Eliphaz de Teman qui est une des nombreuses punitions : « Son visage s’était couvert de graisse, le lard s’était accumulé sur ses reins » Livre de Job 14-27.

Puis son autre ami Cophar de Naamar qui prône la boulimie : « Cet aliment dans ses entrailles se corrompt, devient au dedans du fiel d´aspic, il doit vomir les richesses englouties de son ventre. Dieu les fait régurgiter. »

Je me rends compte que je détourne les images de la Bible, comme un  un gourou d'une secte qui prendrait un verset isolé et l´interprète de façon à manipuler les autres. A la fin du Livre de Job, Yahvé inflige sa disgrâce aux amis de Job à cause de leurs discours et que même sans cela, rien dans la Bible ne doit être pris hors contexte. C'est un livre et une parole d´Amour sur la gratuité de Dieu qui se révèle dans la douleur aussi injuste que la grâce. On est constamment dépossédé dans sa finitude qui nous demande l´humilité de ne pouvoir toujours tout contrôler et maîtriser. C'est Dieu qui se donne et moi qui le reçoit. Il est là où je ne le cherche pas et si je crois comprendre, il m´échappe. C'est le mystère, le Christ est ressuscité pour moi aussi : abandonner la vie serait comme lui cracher au visage le cadeau de la vie. Ne mérite-t-il pas mieux ? Je sais qu'il n'est pas venu pour rien.

Nietzsche disait : « J'ai deux mots à dire à ceux qui disent du mal du corps : Qu'ils s´en débarrassent et viennent m´en parler. ».

Dépouillée de la chair, je ne veux qu'il ne reste que les os et la charpente. La douleur m´a ôté l'envie d'avoir une quelconque rondeur féminine. Je ne veux pas arrondir les angles, je veux qu'on me voit telle que je suis : un squelette. Je tiens à sentir tous les jours de ma vie mes os, ces cotes que je compte et caresse les jours d´angoisse. C'est le plus intime de moi qui se cache dans cette structure et ces racines qui pointent sous ma peau. Le Christ est beau, de cette beauté que j’aime : ces os qui pointent au niveau des côtes, cette colonne vertébrale apparente comme une chenille qui traverserait le dos et les clavicules. Quelque chose de pur, de vrai sous cette peau à peine musclée, sans chair qui dissimule l´être véritable.

J’ai été profondément blessée dans mon intégrité mais je ne veux plus continuer de faire le travail qui est l´instrument de torture de celui qui m´a détruite en m´infligeant toutes ces punitions qui me meurtrissent.

Onzième station : Jésus est cloué sur la croix.

Impuissance, incapacité de bouger quand on est violée au plus profond de son être. Etre une chose à la merci de tous et même pas encore une victime.

Je comprends pourquoi on demande aux boulimiques de tenir un carnet alimentaire : c'est l´unique moyen de ne pas tricher et d´objectiver comme de « clouer » l’instant mais à un instant qui s’inscrit dans la réalité.

C'est avec lui que j'ai compris combien j´avais des troubles de la mémoire : impossible de me souvenir de ce que j´avais mangé, ce que j´avais vomi, de ce que j´avais lu ou la trame du film que j´avais vu au cinéma ou à la télé. Après quelques heures ou quelques jours, je n'en avais plus aucune trace dans ma tête, non parce que je n’étais pas attentive, au contraire mais parce que j'étais trop collée à la réalité : j'étais ce que je mangeais, j'étais le héros du film ou du livre.

Pour s´inscrire dans un souvenir, il faut un minimum de recul par rapport à la réalité pour qu'elle devienne objective : moi je n'en ai aucun tellement je suis sensible aux autres et à l´environnement ; je disparais en lui jusqu´à perdre toute identité. Mon handicap m´oblige à voir plusieurs fois un même film avant de savoir prendre cette distance.

Quand par malheur, je me retrouve dans un groupe qui débat autour d´idées avec des opinions contradictoires, j'ai envie de disparaître car j'ai une telle faculté de compassion que je me retrouve en chaque argument. Oui, je suis à la fois pour et contre la peine de mort ou l´avortement, non par démagogie mais parce que je parviens vraiment à comprendre le bien fondé de chacune des opinions bien que je sache qu´elles ne se valent pas toutes.

Quand on me demande mon avis, j'ai tellement adhéré à chacun des discours que je réponds que je n'en ai pas et que j'ai l’air idiot. Plutôt que de dire que je n'ai pas d’avis, il serait plus juste de dire que j'ai TOUS les avis

Je deviens peut être folle ; j’avais lu  qu’un névrosé construit des châteaux en Espagne et le psychotique y vit. Je ne sais pas si j'ai tout compris mais moi j'aimerais mieux vivre dans une grande demeure plutôt que de la construire de mes mains. Et la construire sans y habiter, c’est absurde.

Quand je vois les gens dits « normaux » autour de moi, je crois qu’à leur place, je préférerais rester folle. Ce doit être agréable de délirer : on se construit un monde à soi, mieux que ne saurait faire la télévision car on y vit vraiment.

Les gens « normaux » sont névrosés. Même avec la meilleure volonté du monde, je crains de ne jamais réussir à être psychotique, même si ça doit être un joli but dans la vie.

Non, je suis comme tout le monde : je me construis des films dans ma tête pour m’évader de la réalité mais je sais trop bien que c’est mon imagination.

Douzième station : Jésus meurt sur la croix.

C'est ce qui pourrait arriver de mieux quand la souffrance est trop grande, une libération, on n'est plus un objet puisqu´on s´exprime enfin en mourant.

Quelquefois je me dis que personne n'est indispensable, que la vie et le monde continueront sans moi de la même façon. Des êtres chers sont morts et je vis, tout le monde vit, le monde danse, rit ou souffre comme toujours. Les cimetières sont des lieux de paix où on se promène le dimanche. Il doit y avoir sur terre au moins autant de morts que de vivants. Qu’est-ce qui fait que je sois encore vivante ? Pourquoi suis-je encore en vie alors que je n'ai plus envie ?

Les gens se remettent toujours de la mort des proches et s'ils ne s´en remettent pas, ils meurent aussi et les rejoignent.

J'ai souvent pensé au suicide qui est le seul acte à la fois de désespoir et de liberté quand on n'en peut plus.

Je n’ai presque pas dormi cette nuit-là, j’ai pleuré, prié et ouvert la Bible à la page des Psaumes.

Tous les désespérés de la terre devraient méditer cette prière du fond de la Détresse que constitue le Psaume 88 (87) :

« Car ma vie est saturée de malheurs et je frôle les enfers

On ne compte parmi les moribonds, me voici comme un homme fini, reclus parmi les morts,

comme les victimes couchées dans la tombe, et dont tu perds le souvenir car ils sont coupés de toi.

Tu m’as déposé dans les profondeurs de la Fosse dans les Ténèbres, dans les gouffres,

Ta fureur s’est appesantie sur moi, de toutes tes vagues tu m’as accablé.

 

Tu as éloigné de moi mes intimes ; à leurs yeux, tu as fait de moi une horreur.

Enfermé, je n’ai pas d’issue. Mes yeux sont épuisés par la misère

Je t’ai appelé tous les jours, SEIGNEUR ! les mains ouvertes vers toi.

Feras-tu un miracle pour les morts ? Les trépassés se lèveront-ils pour te célébrer ?

Dans la Tombe peut-on dire ta fidélité,et dans l’Abîme dire ta loyauté ?

Ton miracle se fera-t-il connaître dans les Ténèbres et ta justice au pays de l’Oubli ?

Mais moi, je crie vers toi, SEIGNEUR !Le matin, ma prière est déjà devant toi.

SEIGNEUR pourquoi me rejeter, me cacher ton visage ?

Malheureux, exténué dès l’enfance, j’ai subi tes épouvantes et suis hébété.

Tes fureurs ont passé sur moi, tes terreurs m’ont anéanti.

 

Tous les jours elles m’ont cerné comme les eaux, elles m’ont encerclé de partout.

Tu as éloigné de moi compagnons et amis ; pour intimes, j’ai les ténèbres. »

Je suis lâche : tout m´enseigne que ce corps haï, bafoué, désincarné me représente moi et rien que moi, qu'il est ma vie que je tiens entre mes mains et qu'il ne tient qu´à moi de la garder pour la sauver.

 

Treizième station et Quartozième stations : Jésus est descendu de la croix et remis à sa mère puis est mis au tombeau et réssuscité le Troisième jour

 

Un corps, c'est une chose à manipuler, quelquefois j´aimerais que le mien disparaisse, qu'il n´exprime plus aucune faim, qu'il ne soit pas en lutte perpétuelle avec mon esprit et ma pensée. Ce qui me retient, c'est mon cadavre, ce corps mort laissé aux vivants. Ce doit être horrible car on ne doit savoir qu´en faire. C'est tout ce qui m´empêche de passer à l´acte.

C’est la fin, on jette le corps et on le cache derrière la pierre : on passe à autre chose.

S’oublier pour mieux aimer est aux antipodes de l’obsession profane de nos sociétés pour les régimes. Les notions de bien et de mal ont été projetées sur l’image corporelle : l’idée de Dieu liée à la perfection et à la pureté est à présent contenue dans l’image de la minceur tandis que celle du diable associée à la corruption par l’appétit, la paresse et l’avidité est personnalisée par l’obésité.

Mes problèmes d’anorexie et de boulimie sont les derniers symptômes d’une dépression salutaire puisqu’elle signifie que je prends enfin conscience de ce qui me fait souffrir.

Je rationalise par de grandes théories sur l’alimentation mais ce qui transparaît en moi, c’est une passivité face aux événements, une difficulté à m’aimer, à m’affirmer dans le monde et à concevoir que je puisse être active pour faire des choix et provoquer des changements.

Prendre le risque de vivre, d’aimer, de désirer sans m’enfermer dans une petite existence balisée par des rituels qui me rassurent. Il y a des manières plus intéressantes d’occuper son temps que celle de focaliser sur la bouffe toute la journée. Je critique les autres qui me semblent obsédés par la nourriture alors que c’est moi qui ne pense qu’à elle inlassablement.

Ce qui me dérange dans les gestes à répéter quotidiennement, c’est que je dois fournir un effort pour construire un monde meilleur sans que les résultats de mes efforts ne soient visibles i Je ne veux pas vivre dans un monde vide d´amour, dans une société où il n'y a que le fric, la bouffe et le confort qui comptent.

Je veux vivre autre chose, autrement, mais je ne sais pas quoi ni comment. Je n'ai pas la sensation d´être vivante dans un tel monde.

La vie est une chance, une école de perfectionnement. Tout ça a un sens : je ne peux pas être  née pour rien mais née pour apporter ma touche personnelle et à donner de l´amour à ma façon. Je  fais partie intégrante de l´univers pour qui je suis précieuse et même plus : je suis nécessaire à son équilibre.

Dans la prière pour rétablir la paix et l´harmonie dans le monde. Il y a une circulation de la grâce entre les hommes : une prière se répand entre les êtres et se répercute à travers tous les temps.

Je sais que je suis  unique et personne ne peut me remplacer. La vie se trouve ici et maintenant : le passé n´existe déjà plus et l´avenir est une construction mentale qui n´existe pas encore.

Ce qui fait le sel de la vie : l´amour, la vérité, le partage et la joie ; toutes ces choses essentielles se trouvent dans la réalité, la grâce ou la magie de la vie sont des cadeaux faits à tous, il suffit d´ouvrir grand les yeux comme les enfants et de se laisser surprendre

Je suis exigeante, je ne veux pas d´un petit amour, je le veux absolu ou pas du tout. Si Dieu existe, c'est la moindre des choses que de se donner pleinement à Lui. Chaque jour me confirme que c'est ma voie : j'ai un besoin d'action universelle et de rechercher toujours plus cet Absolu.

Nietzsche a écrit qu'il fallait « être une éponge pour être l'ami de l'ami au cœur débordant ».

Je dois me battre, utiliser la violence que je retourne contre moi qui ai une formidable source d´énergie que je peux déployer pour rendre le monde plus beau et plus juste. Ne plus se poser en victime, s’ouvrir à l’existence, j’en ai la force.

Avec le temps, ma relation complexe avec la nourriture est une difficulté que j’arriverai à dépasser, rongée par la peur d’une vie médiocre.

J’aimerais prendre la liberté de vivre à ma manière, d’être moi et non ce que les autres voudraient que je sois. Je ne sais pas pourquoi je suis née et quel est mon rôle ici-bas. Je n’ai même pas le courage de mourir, juste de me détruire en comblant le temps inutilement, en sous-vivant et en manquant l’existence comme un train qu’on rate. Il doit bien y avoir autre chose que la recherche de l’oubli et de la fuite. Inconsciemment n’est-ce pas autre chose que je recherche ?

Le bonheur est à construire mais on ne m’a pas donné le mode d’emploi comme ces meubles livrés à monter soi-même et dont la notice serait en martien.

 

Flash back : Mes stations avant ma résurrection

 

Un soir, ne parvenant pas à trouver le sommeil et sentant la crise de fringale arriver, je suis sortie en proie au manque, dans l’idée de me précipiter à  l’épicerie ouverte 24 heures/24 de mon quartier.

Je suis passée devant l’église Notre Dame des Victoires encore ouverte,  en face de chez moi et je me suis sentie comme aimantée par sa lumière. Faire une pause dans un lieu tranquille et gratuit ouvert le soir avant ma crise.

La chapelle était éclairée uniquement par des bougies devant Saint Thérèse de l’Enfant Jésus, magnifique avec sa bouille enfantine arrondie, et une icône du christ.

Tranquillité, apaisement, on aurait dit un tableau sauf que c’était la réalité. Seule dans cette chapelle, je n'ai plus pensé à manger et je me suis agenouillée. Le silence était tellement là que j´entendais ma respiration à un rythme régulier.

A cet instant, je ne me sentais plus seule, je contemplais les yeux noirs du Christ sur l´icône semblable à la caresse de la lune, la flamme vacillante des bougies, je goûtais le silence et la vie. J´étais tout simplement en vie, à ma place, et je m´en apercevais pour la première fois. Le monde m´a paru beau, plein de la présence de l´amour : il me suffisait de le cueillir. C’en était presque insoutenable tellement c’était beau.

Comment ai-je pu ignorer que l'on m´aimait tant ?

L´important n'est pas de savoir si on croit en Dieu mais de sentir que Lui croit en nous, même minables, tellement nous sommes loin de la perfection.

Il m'est encore difficile de rendre compte de ce qui s'est passé car c'est de l’ordre de l´indicible. Quels mots peuvent traduire la grâce ? Je viens de vivre un appel à aimer, qu´en faire ? J'ai passé la majeure partie de ma courte vie à la gâcher.

Le lendemain, je me suis rendue à nouveau, à la chapelle et j'ai passé une heure à regarder le Christ sur la croix. Lui n'avait pas le choix, il était cloué, immobilisé et impuissant. Moi avec mes problèmes de nourriture, j'ai tous les moyens en moi pour agir avec courage et lutter contre leur emprise. Avec son aide, je peux me modérer et comprendre que je peux manger peu sans être tentée de jeûner ou de bâfrer, tout en arrêtant de grossir sans limites et sans en avoir peur. Le sentiment de n´être rien, de ne pas être maître de ma destinée, de vivre par devoir s'est évanoui subitement. Je me retrouve comme une enfant démunie qui ne saurait ce qu'elle veut tant elle a agi conformément à ce qu'elle pensait qu'on attendait d´elle pour qu'elle soit une bonne petite fille.

Cette nuit-là, au cœur du silence, j'ai ouvert les évangiles et je ne les ai pas dévorés avec avidité : je les ai savourés.

Etre toute petite, dépendante de Dieu pour le servir est une bénédiction comme Marie le dit magnifiquement dans le magnificat : « il s'est penché sur son humble servante ».

Je ne pensais pas que la bible puisse m´enseigner quelque chose sur la nourriture. Je n'ai jamais lu un livre (sauf de cuisine) où on mange autant que dans les évangiles.

Pour Jésus, c’était l’occasion de transmettre et de se réjouir : le repas avait alors un sens véritable de communion.

Moi, simple humaine, je me suis prise pour le plus évolué des saints ou des yogis prétendant me nourrir de l´énergie éthérique, celui de l’air et de la lumière.

Si Jésus a accepté de vivre pleinement la condition humaine dans son corps, mon devoir est de le faire aussi en mémoire de Lui. La nourriture a été une drogue qui m´empêchait de voir le monde tel qu'il est avec ses horreurs mais aussi ses beautés. En choisissant cet esclavage, je renonçais à la liberté et à l´amour.

Dieu est fragile car il se remet totalement entre nos mains au risque de se faire tuer. La liberté serait de consentir à l´amour qu'il nous propose et cela passe forcément par le réel qui est un roc où nous nous brisons ou nous construisons.

Par la maîtrise de tout, j'ai voulu me considérer comme un Dieu et j'ai chuté comme dans la genèse. En me croyant pur esprit, je me suis retirée sur une planète coupée de l´amour des autres et de Dieu.

L´obsession de la nourriture est un péché tout autant que la gourmandise car elle sépare des autres pour ne s´intéresser qu´à son estomac. Il suffit d´observer les gens qui mangent ensemble : ils sont obnubilés par ce qu'ils ont en bouche et s´en fichent de ce que raconte leur voisin ; par la nourriture, ils se suffisent à eux-mêmes et moi, j´étais comme eux.

Cette nuit, j'ai reçu une grande claque dans la figure me demandant d´abandonner mon égoïsme et de participer de façon responsable au monde. Dieu est dans ma liberté d'action par rapport à l´événement et moi.

Que faire de cet appel exigeant ?

J'ai besoin de me retirer dans le désert, de vivre mon carême, je ne sais plus où j´en suis entre la joie et la tristesse. J'ai peur de ne pas être à la hauteur de la vie. Je comprends le sens du « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serai guérie ».

Voilà exactement comment je me sens : un sac à bouffe et à merde.

Au lieu de courir me vider aux toilettes, j'ai décidé d´aller prier à la Notre Dame des Victoires de la manière authentique.

Au fond de l´église, je n'avais pas encore remarqué la magnifique statue de Jésus grandeur « nature » sur le tombeau. Longtemps, je l´ai contemplée et j'ai inspecté, médité ce corps maigre et beau des pieds à la tête. C’était la première fois que je prenais du temps à regarder un corps autre que le mien, ma seule expérience était des bouts de chair à la piscine qui me dégoûtaient plutôt.

Jésus est beau sur cette représentation, il est vrai que si le Père nous a donné son fils dans la chair, c'est pour que nous l´étreignons à pleines mains charnelles.

Moi qui ai toujours été allergique et réfractaire à tout contact physique ou geste de tendresse, je me suis précipitée pour saisir ses pieds de mes doigts, serrer son corps, enlacer ses jambes et même embrasser ses plaies.

C’était dingue, j´en avais les larmes aux yeux et je me sentais à la fois ridicule de baiser ainsi une pierre.

Le Christ est beau, de cette beauté que j’aime : ces os qui pointent au niveau des côtes, cette colonne vertébrale apparente comme une chenille qui traverserait le dos et les clavicules. Quelque chose de pur, de vrai sous cette peau à peine musclée, sans chair qui dissimule l´être véritable. Je devenais un peu la pécheresse qui a passé le temps d´un repas aux pieds de Jésus, à le laver de ses larmes et à les essuyer de ses cheveux Sans que je comprenne pourquoi, ces images corporelles me font comprendre certains mystères de la piété.

J'étais trans-portée, j´adore cet étymologie de « trans » qui est synonyme de s´intéresser á l'autre, à l´étranger et de rentrer en relation avec lui. Ensuite, j’ai assisté à la messe de dix-huit  heures et j'ai communié. Cette hostie qui pénètre dans mon corps le sacralise et c'est le meilleur moyen pour moi de le respecter ensuite en ne me faisant pas vomir dans la journée qui suit ce sacrement.

Stéphane m’avait convié à un stage de plongée en Bretagne et nous primes le train.

Une gare, c'est un lieu de vie par excellence : on y croise des gens en exil qui à ce moment-là précis jouent leur existence : il ne faut pas oublier que les gens se quittent quelquefois pour toujours même s'ils ne le savent pas. Pendant le trajet, on partage avec des inconnus des petits bouts de vie, des confidences très intimes parfois car on est sûr de ne pas revoir ces compagnons de passage.

Il n'y a qu'un silence véritable : c'est celui subaquatique et c'est un silence plein, dense et apaisant.

Liberté sans limite, exploration de soi au plus profond, divagation totale de la pensée.

Sous l'eau, avec nos combinaisons de plongée, nous nous ressemblions tous, il n'y a plus de sexe, juste des corps qui se confondent. Comme les autres, j´avais la silhouette d´un sumo mais je n'en avais pas honte. La densité n’était pas encombrante puisque chacun de mes mouvements était fluide comme au ralenti. Légèreté alors que je portais plus de vingt kilos de poids supplémentaire sur moi. A la sortie de l'eau, la lourdeur de l´attraction terrestre m´a rattrapée : j'ai cru que jamais je ne parviendrai à me hisser sur l´échelle pour remonter sur le bateau du club.

Déjà, j'étais coupée de ce paradis : ce ciel aux milliers de poissons, ce silence prenant et pénétrant le rythme régulier de ma respiration et les mouvements harmonieux de nos corps primitifs et androgynes.

Au repas de midi, j'ai dévoré un plat de pâtes fraîches saupoudrées de parmesan et j'ai même pris une île flottante (quel joli nom, surtout pour une plongée) et tout cela sans culpabilité car je nourrissais mes cuisses meurtries par le palmage. Le gavage de mon estomac n'était que le reflet de cette pesanteur terrestre à laquelle je devais m´habituer. La maladie de la nourriture est la maladie de la légèreté, une envie d´évanescence, de pureté, de s´élever vers le ciel. Elle tient du religieux, d'une maîtrise de ces bas instincts pour accéder à un idéal de perfection : se donner soi pour nourrir le monde au lieu de ne penser qu´à se gaver de matière.

Mon corps n'était plus étranger à moi-même : je l´habitais du cuir chevelu aux doigts de pieds. J´avais vraiment la sensation de faire un avec l´humanité, avec une envie d'aimer tout ce qui vit.

En refaisant surface, je me suis penchée vers l´océan, j'ai trempé mes mains dans l’eau salée et je les ai léchées.

Communion : j´avalais l´immensité de l´étendue salée par le goût, une parcelle m´en donnait l´intégralité.

Le lendemain, une association organisait une initiation gratuite au yoga sur la plage, Stéphane nous a inscrit, enthousiaste. J'ai vécu ce moment comme une présence réelle du Christ en moi et je ne voyais pas pour une fois mon corps comme une pourriture ambulante, j'étais au-delà de ça. Est-ce une grâce ou un moment d´inconscience ?

J'étais attachée à ma respiration, symbole de vie, de mouvement, d´échange et de symbiose avec notre environnement. Vraiment, j´avais l´impression d´échanger avec Dieu, non seulement, de prendre, mais aussi de donner. Recevoir passivement le don de la vie lors de l´inspiration : attitude d´accueil et m´offrir ensuite activement lors de l´expiration. L´inspiration me permet de communier au don qui m'est fait de la présence de Dieu. L´expiration exprime le caractère libre et volontaire de ce don de soi.

Il est vrai que cette attention à la réalité vécue à travers mes sens naturellement sans passer par des excitants, par la statique corporelle et le souffle m´a permis d´être réellement présente à moi-même et au Seigneur.

Pour moi, c’était un acte de foi en Jésus Christ que de donner un sens à la position de mon corps et à ma situation dans l´espace.

J'ai découvert qu´être dynamique, ce n'est pas forcément s´éclater en mouvements saccadés comme avec mes marches frénétiques dans la ville ou démesurés comme la gymnastique avec laquelle je martyrise mon corps après les repas.

Le résultat est que je me suis sentie bien, apaisée et non pas vide ou énervée par ce travail de la respiration et ces mouvements doux et fluides comme une danse.

Pendant un instant, j'ai cru atteindre l’unité du corps et de l'esprit et cela, je le sais, c'est Lui qui me l´a donné par sa paix. Selon moi, les conduites addictives, l´alcool, l´anorexie, la drogue (même une simple cigarette), les émotions, sont cachées par la recherche de sensations fortes mais elles ne sont pas la vie. Pratiquer un peu d’exercices, de marche ou de natation pour maintenir leur corps apte à la prière n’est pas mal en soi car c'est un temps qui permet une meilleure disponibilité ensuite pour Dieu et les autres.

Je prie pour me guider par Dieu dans les relations avec mon corps et il m´aidera à l´embellir naturellement et à rayonner, que je sois maigre ou « enveloppée ».

Me poser, écouter ce qui se passe dans mon corps et prendre conscience de ma respiration comme une prière, me fera certainement du bien.

Stéphane, qui s’intéresse au bouddhisme et l’hindouisme m’avait raconté que Dieu le Père, c'est l´absolu non manifesté existant dans cette création, cette conscience christique c'est le fils unique, c'est-à-dire le reflet de l´Infini incréé. Sa manifestation extérieure, c'est le Saint-Esprit qui correspond à l´Aum des hindous, ce pouvoir divin créateur invisible tissant le monde des vibrations

Les yogis pratiquant le jeûne tirent leur nourriture de l’énergie subtile de l’air et de la lumière, de la force cosmique rechargeant le corps par le bulbe rachidien. La possibilité de se passer de nourriture n'est pas donné à tous, c'est un pouvoir yogique qui demande un certain exercice de respiration sous l´épine dorsale, le cinquième centre d´énergie qui est un chakra qui permet de vivre de l’énergie éthérique.

Connaître son corps, c'est connaître l’œuvre de Dieu et respecter son corps, c'est rendre gloire à Dieu. Retrouver et apprécier le corps que Dieu nous a donné est charité envers soi-même, envers les autres, et cela dispose aussi à la prière. Passer par le corps, l´incarnation pour cheminer avec le Christ n'est peut-être pas la voie la plus facile, mais pour moi, c'est la seule possible pour guérir de la haine de mon enveloppe corporelle.

Je sais que le bonheur de Dieu est dans ma pleine réalisation : je veux une vie forte, abondante et pleine et c’est ici, en ce monde, que je le retrouve et que je me retrouve.

Au retour à Paris, dans le métro qui fut le lieu de mon agression, j'ai senti une vague d´amour me submerger alors que j'étais comprimée comme une sardine au milieu des passagers de la rame. Toutes ces personnes présentes formaient un grand Tout, une immense énergie et moi, j´étais toute petite parmi eux mais je participais á cette force de Vie qui me dépassait. Nous étions  tous à la fois si semblables et si différents et l’ordre du monde avait besoin de chacun de nous.

Peut-être que le règne de Dieu, c’est un supermarché où tout est gratuit en abondance.

Manger le monde, c'est m´exposer à me confondre avec lui jusqu´à m´y perdre.

L´excès et la passion peuvent se trouver dans le quotidien et dans la vie ailleurs que dans l´obsession de la minceur absolue : je l’ai découvert dans ce moment de silence avec Stéphane et lors de mes plongées sous-marines.

Maintenant je pense que le silence n´exclut pas le partage : après un film ou un livre qui m’a ému, il est légitime d'avoir envie d´exprimer ce qui m’a plu et ce que ça provoque en moi : ça s'appelle le partage. Si j’étais capable de mettre des mots sur mes émotions, ne serait-ce qu’avec l’écriture, j’arriverais à les gérer autrement que par des compulsions boulimiques.

Je commence à peine à réaliser à quelle discipline intenable je me contraignais : si difficile à tenir qu'elle générait des fringales qui me culpabilisaient.

J'ai compris combien la discipline extérieure bien moins difficile peut libérer : en prenant les repas à heures fixes on se vaccine en empêchant que la nourriture devienne une obsession. Quand on est incapable de rigueur personnelle, la rigueur du groupe ou de la société la remplace. Voilà pourquoi des lois et des règles existent dans toute communauté.

« Aime et fais ce qu'il te plaît », quel joli commandement tu m´as appris. Il m´a toujours paru choquant que le fait d'aimer soit un ordre. Je comprends mieux maintenant : aimer constitue un effort et un engagement tournés vers l'autre. Pour cela, il faut réussir à dominer ses propres instincts qui poussent à ne penser qu´à soi et à son propre confort.

Oui, j'ai vraiment compris le sentiment de liberté qui naît du contrôle et de la discipline pour aimer.

Voilà pourquoi, j'ai compris pourquoi l´écriture m'est si chère.

Quel joli mot que celui de « correspondance », proche d´harmonie et combien justement il s´accorde bien aux relations épistolaires que j’ai découvert avec Stéphane.

Le langage verbal ne me permet pas d'avoir ce recul nécessaire pour identifier ce que je ressens mais j´y parviens très bien par l´écriture. Par son intermédiaire, j´analyse, je réfléchis mon vécu, ce qui me permet d´être suffisamment distanciée pour me sentir vivante et une en dehors du monde. C’est un acte d´amour que de prendre le temps d´écrire. Il est tellement facile de déverser un flot de paroles orales comme on vomit sans se soucier de savoir si l'autre est disponible à recevoir son discours.

L´écriture est un acte réfléchi : on sait que l'autre lira et relira nos mots et on en mesure l´exactitude, ce qui les rend bien plus précieux. Une lettre est un cadeau comme un baiser que l'on envoie en soufflant dans sa main. L´acte d’écrire est magique : il n'y a plus que ces doigts qui laissent leurs empreintes sur le papier, son message gravé dans la matière pour le transmettre à autrui.

Les moyens de communication virtuels comme les messageries électroniques ne remplaceront jamais la véritable écriture physique sur un papier. Il n'y a pas plus impersonnel qu'un clavier qui enlève à l´écriture sa part d´humanité car justement il n'y a plus de correspondance entre la pensée et la danse de la main qui rentre dans une sorte de transe chamanique.

A mes yeux, la nourriture était une drogue qui provoquait la pire des addictions : plus on mangeait, plus on avait faim souvent.

Je crois que je suis en train de redécouvrir le goût. Avant l´alimentation se divisait en deux mondes : celui des gentils, les produits allégés et peu caloriques et celui des méchants les aliments riches en gras et sucre contre lesquels je livrais bataille. Consommer un aliment de plus de cent calories à la fois me terrifiait. Au cours de ce déjeuner, j'ai décidé d´arrêter ma comptabilité calorique pour expérimenter avec une curiosité enfantine et naïve les textures et les goûts des aliments. En dehors de toute considération diététique, j'ai remarqué mes préférences pour ce qui est sain : les crudités plutôt que le pain, les légumes plutôt que les frites ou les yaourts plutôt que le flan.

J'ai tellement malmené mon corps que je ne sais plus quels sont ses besoins. Lors de crises de fringales, je rêve de me suicider avec la bouffe comme dans cette scène des Monty Python où un type obèse éclate en avalant un chocolat à la menthe concluant un repas pantagruélique ou cet assassinat illustrant le péché de gourmandise dans « Seven » où un homme meurt d'une overdose de spaghettis.

Il me faut apprendre à aimer mon corps quel que soit son poids car il est le temple de l’esprit mais chez moi l’un est à l’image de l´autre : torturé et abîmé. Le régime doit être fait pour l´homme et non l´homme pour le régime.

L´humanité du Christ ne doit pas m´effrayer, au contraire : s´il s´offre à moi souffrant, c'est parce qu´il est toujours proche de moi surtout quand tu es en peine.

J’avais lu un récit très beau à ce sujet : un homme sur une plage fait le point sur sa vie symbolisée par des traces de pas sur le sable.

Il remarque que pendant les moments difficiles, il n'y a qu'une trace de pas alors que le restant de sa vie il y en a deux. L´homme se tourne alors vers Dieu et l´interroge : « Pourquoi lors des moments de désolation et de malheur, n´étais-tu pas là à mes côtés ? ». Dieu lui répond : «  C'est parce que je te portais. ».

Je sais que toute ma vie, j’aurais des moments de grâce palpables comme celui de cette nuit suivis de moments de désolation et de peine où je me sentirai abandonnée.

Lui a vécu la même souffrance mais amplifiée et il porte le malheur sur une croix pour moi, pour nous tous. Apprendre à se reposer sur lui en permanence car il peut tout, même m´aider vis- à-vis de l´alimentation pour qu'elle ne soit plus une obsession.

Nous mangeons pour être en bonne santé pour être tout à la prière. Prendre soin excessivement de son corps serait de l´orgueil mais le maltraiter est un manque d´amour.

On ne peut atteindre Dieu qu´en étant parfaitement humain. Ce Dieu souffrant est là près de nous mais il ne nous aime pas plus si on se fait souffrir. Il y a bien assez de souffrances en ce bas monde –j’en sais quelque chose- pour qu'on ait besoin de s´en infliger davantage. Accepter celles qui existent et qu’on ne peut pas changer est déjà la plus grande des humilités. Essayer d'avoir la force de prendre les épreuves comme elles viennent sans en ajouter et s’en complaire à se rendre malade.

Se faire plaindre est un sport répandu auquel beaucoup de gens sont très attachés. On peut perdre beaucoup d´énergie à garder son statut de victime, de faible, uniquement pour ne pas devoir être actif et changer les choses ou avouer notre impuissance à lutter contre le mal.

Le Christ n'a pas eu peur de s´incarner en revêtant notre chair, celle-ci est vraiment devenue le temple de l’esprit et promise à l´immortalité.

Le corps est devenu sacré : il ne faut pas en avoir honte et en faire bon usage. Quand on réfléchit à l’équilibre du corps humain jusque dans les plus petits détails et à la correspondance de tous les organes entre eux, il faut être admiratif devant ce chef d’œuvre.

Le corps est fait pour la louange. Nous ne sommes ni un corps ni un esprit mais à la fois un corps animé ou une âme incarnée. L´ascèse n'est pas une école de volonté, c'est laisser de la place à l´amour en prenant soin de soi sans tomber dans la toute-puissance sur son corps.

Apprendre à être à l´écoute de mon corps car il sait ce qui est bon pour lui et non toutes les règles diététiques que je cherche à suivre comme parole d´évangile.

J’ai déjà fait un chemin extraordinaire : j’ai pris conscience de la valeur de la vie que Dieu m’a donnée en réconciliant le corps et l’esprit. Mais je ne crois pas que je doive passer nécessairement par le corps pour jouir de l'esprit. Les bienfaits de ce type de techniques de méditation ne constituent pas l´essentiel. Ils représenteraient plutôt ce qui est donné « par surcroît ». Mathieu 6-33 car l´essentiel est d´ordre spirituel : c'est la quête de ce qu'on peut appeler délivrance, libération ou salut. Le corps n'est qu'un instrument de prière, je peux dialoguer avec le Christ sans support, sans statue même si j’en ai encore besoin. La conversion est un mouvement continu de fidélité responsable en fonction de ce qui se présente à moi au moment où j’en suis.

L´évangile est empli non seulement du bruit des mâchoires qui mastiquent mais aussi des pas qui foulent la route.

Si Jésus marchait tant, c'est parce que c'est une activité qui mène à un état de prière. En avançant malgré la douleur, la fatigue, les souffrances, en éliminant tout ce qui n'est pas indispensable à l'existence, je me suis comblée et suis devenue moi-même.

Durant ces quelques kilomètres de cheminement sur les routes et à travers la ville, j´étais comme une sainte martyre, comme Gandhi, le jeune étudiant en droit qui courrait une vingtaine de kilomètres par jour et puis qui allait dans un restaurant bon marché se rassasier de pain. J'ai cherché la communion avec le monde environnant car sur les routes, la pauvreté, la chasteté et l´obéissance viennent naturellement.

En ce qui concerne l´alimentation, la Bible que j'ai emportée avec moi donne déjà certaines recommandations. Puis, certaines réalités horribles cachées derrière mon et notre alimentation m’ont indignées quand j’ai vu sur youtube un documentaire sur la condition des animaux d’élevage : « Earthlings » et l’interview en ligne de Gary Yourofsky . Finis tous les produits issus des animaux, qu’on leur foute la paix au lieu de les exploiter et de les faire reproduire inlassablement que dans le but de leurs mises à mort.

Il est vrai qu’au temps de la genèse, Dieu nous commande de dominer les animaux mais cela ne justifie pas les traitements inhumains que l´homme administre aujourd’hui aux espèces animales pour en faire de la nourriture. Des bœufs transportés entassés dans des wagons de la mort puis suspendus agonisant à des crochets afin d´être égorgés, des poulets ne disposant pas de vingt centimètres d´espace vital dans les élevages intensifs, des poussins écrasés par des rouleaux compresseurs parce qu´ils ont eu la malchance de naître mâle et de ne pas pouvoir produire d´œufs, des vaches inséminées artificiellement plusieurs fois par an dont les pis traînent sur le sol et à qui l'on enlève le veau nouveau-né pour l´emmener à l´abattoir.

Je ne préfère pas penser à la nourriture que l’on offre à ces animaux : farines animales, antibiotiques et hormones. C'est cela qu'on avale cérémonieusement et qui pénètre dans notre corps pour le faire soi.

As-tu déjà imaginé la peur d´un animal quand il sait qu'il va se faire trucider ? Ne crois-tu pas que ces mauvaises ondes teintées de mort soient une nourriture pure ?

Est-ce que les gens conçoivent tous ces éléments avant de bouffer le steak dans leur assiette en prétendant que c'est une alimentation naturelle ?

Naturel ? Que cet être supérieur doué de raison et « d´humanité » s´abstienne donc de toutes les machineries assassines et qu'il tente de tuer un agneau ou une vache à mains nues « naturellement ».

Si l'on laisse de côté toutes ces horreurs en décidant de les ignorer – les assassinats étant commis par d´autres -, pensons au moins à nos frères des pays plus pauvres qui crèvent la faim pendant que nous nous empiffrons. J'ai lu qu'il fallait au moins dix kilos de soja et de céréales pour produire un kilo de viande, de quoi faire survivre des hommes au lieu d´alimenter des animaux destinés à être mangés.

Si l'on considère que jeûner, c'est se priver essentiellement de viande et de graisses animales ainsi que, selon les époques et les lieux, de laitages et d´œufs, on peut en déduire que les végétaliens qui ne mangent aucun nutriment issu des animaux (viande, poisson, œufs et produit laitier) jeûnent toute l’année, tout en mangeant.

« C'est pourquoi, si un aliment doit causer la chute de ton frère, je me passerai de viande à tout jamais, afin de ne pas causer la chute de mon frère. » 1er épître aux corinthiens 8-13.

Je crois sincèrement au fond de mon cœur que c'est pour cette raison que le Christ s´abstenait de viande et que je souhaite m´en passer également ainsi que les poissons qui meurent étouffés, le symbole du poisson étant aussi celui du Christ.

Je pense que l’alimentation végétalienne peut me guérir car je sais que ce que mange nuira moins aux autres êtres vivants dotés de sensibilité, à l’environnement pollué par les élevages intensifs et aux autres êtres humains qui dépendent de cette nature. Je ne juge pas ceux qui ne savent pas mais je veux informer  les gens des 65 milliards d’animaux terrestres tués chaque année dans le monde sans compter les animaux marins. « Tu ne tueras point. » mais « Pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font.

« Tel croit pouvoir manger de tout, tandis que le faible ne mange que des légumes : que celui qui mange ne méprise pas l´abstinent et que l´abstinent ne juge pas celui qui mange : Dieu l´a bien accueilli » Epître aux romains 14-2.

« Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites (…), parfume ta tête et lave ton visage pour que ton jeun soit connu, non des hommes mais de ton Père qui est là dans le secret. ».

Si l'on considère que jeûner, c'est se priver essentiellement de viande et de graisses animales ainsi que, selon les époques et les lieux, de laitages et d´œufs, on peut en déduire que les végétaliens qui ne mangent aucun nutriment issu des animaux (viande, poisson et produit laitier) jeûnent toute l’année. Ca me parle vraiment, recommencer à manger des aliments, même du gras végétal et plein d’aliments à découvrir comme le quinoa ou le tofu. Les omnivores qui pensent manger équilibrés alors qu’ils ne mangent que du cadavre et les sécrétions animales (lait maternel pour le veau, règles des poules ou vomi d’abeille…) ne me semblent pas plus fous que moi !

 « Celui qui tient compte des jours le fait pour le Seigneur, celui qui mange de tout le fait pour le Seigneur, en effet, il rend grâce à Dieu. Et celui qui ne mange pas le fait également pour le Seigneur et il rend grâce à Dieu. » Epître aux Romains 14-6

« Et il tiendra bon car le Seigneur a le pouvoir de le faire tenir » Romains 14-4

Surtout, j’essaie de ne pas tomber dans  la christianisation de mes troubles alimentaires ou l’orthorexie (obsession du manger sain), je veux retrouver le plaisir, l’équilibre physique et mental et ne plus culpabiliser de ce que j’ingère sauf si cela n’est pas éthique.

Si je descends un peu dans l´épître aux romains (14-7), il est simplement écrit : « Car le règne de Dieu n'est pas affaire de nourriture et de boisson ; il est justice, paix et joie dans l'esprit » mais aussi (14-22) : « Heureux celui qui ne se condamne en exerçant son discernement ». Le discernement de ne pas nuire…

Me convaincre d’aller à l´essentiel, et de m’ôter ce poids de culpabilité qui m´oppresse : « Pour une question de nourriture, ne détruis pas l’œuvre de Dieu » Romains 14-20

Je crois que j’ai eu un blocage affectif quant à la perception et  l´expression de ce que je suis, Jésus peut m´aider à me libérer en ce domaine. Ce n'est pas le contenu des prières qui est important, c'est le fait de le dire par la confidence, comme par le biais de l´écriture. La prière n'est pas seulement une récitation de formules toutes faites mais une présentation de ce que je suis et de ce qui m´habite en ce moment, de mes angoisses, de mes désirs et espérances. Non pas pour l´informer d´un événement car il les connaît déjà mais pour lui faire la confidence de mon être intime et pour lui dire que je l´aime. La relation est au-delà de ce qui est dit : elle passe par l’intention et l’attention.

Demander au Seigneur de ne pas me couper de mes émotions ; le progrès dans mon intimité avec Lui passera par le souci de lui exposer mes sentiments en profondeur sans rester en surface ou en les fuyant.  Je croyais qu’il fallait s´adresser à Dieu de manière conventionnelle et« soft », dans le factuel et non dans la vérité. Qu’importe si je passe d´un extrême à l'autre, de la révolte à l’action de grâce, de l´inquiétude à l´adoration, du repentir à la joie : Dieu est là pour m´entendre. Ne pas avoir peur de la violence de mon langage, même s´il n'est pas convenable, les psaumes et le livre de Job sont remplis de ces cris de violence. Si je crois en sa bienveillance en mon égard et à la solidité de notre lien mutuel, je peux avoir l´honnêteté de lui dire ce que je ressens. Le contraire de l´amour n'est pas la colère ni même la haine, c'est la froideur et l´indifférence.

Le Seigneur n'est pas politiquement correct, il est prêt à tout entendre. Il est trash et même gore vu tout ce qu'il a enduré comme souffrances.

Je me rends compte que vivre dans le cadre de la prière toute la réalité de son corps est difficile. Cela peut vite dégénérer dans un culte idolâtrique de la chair et porter à identifier subrepticement toutes ses sensations comme des expériences spirituelles. Les prendre comme d´authentiques consolations de l'Esprit saint serait une façon erronée de concevoir le cheminement personnel.

N´oublie pas : « Il a jeté les yeux sur l´humilité de sa servante ». Luc 1-48

Le corps est ce par quoi l'esprit s´exprime, se modèle et se laisse transformer par le monde. Ce n'est pas l'esprit qui est dans le corps, c'est l'esprit qui contient le corps et l´enveloppe tout entier.

La résurrection de la chair est également un mystère, sous quelle forme reviennent les morts ? Pas de zombies bien sûr. La résurrection de la chair est la résurrection des personnes avec leur corps, leur âme et leur esprit dans ce qui fait la dimension relationnelle.

Chaque chose doit être choisie avec soin, en fonction de la vérité, de la beauté et de l´amour.

 Simone Weil, une mystique anorexique célèbre, disait que dire que la vie et le monde ne valaient rien et en donner pour preuve le mal était absurde car si cela ne valait rien, de quoi le mal privait-il ?

Profiter de mon existence maintenant que je suis en vie car après il sera trop tard : la vie est une expérience unique et précieuse même si elle est douloureuse.

Les chrétiens croient au Paradis qui n'est pas un lieu mais la plénitude de la vie en Dieu, l´accomplissement de notre humanité dans une vie saturée de bonheur, pleinement relationnelle et immergée dans l´amour de Dieu ; une vie en communion parfaite avec tous dans une harmonie et une beauté ineffables.

De même, l´Enfer est créé par la liberté de l´homme qui, en refusant Dieu, s´enferme lui-même dans l´isolement absolu. Ce n'est pas Dieu qui nous inflige la peine, c'est l´homme qui choisit librement de se couper définitivement de Lui. Le diable est un ange déchu qui s'est rebellé contre Dieu et a refusé de servir son plan d´amour sur la création et en particulier sur l´humanité.

Cet ange rebelle s'est de la sorte exclu lui-même de la présence de Lumière divine pour sombrer dans les ténèbres du mensonge, de la haine et de la violence destructrice.

Mais il n'en demeure pas moins un ange, c'est-à-dire une intelligence supérieure dont il faut se méfier car il tente de nous séduire en nous invitant à des comportements qui nous éloignent de Dieu car il sait qu´aussi longtemps que nous demeurons fidèles à l´Evangile, il ne peut rien contre nous. C'est lui qui me tente quand je cherche à mourir ou en prenant des conduites à risque pour m´éloigner de mon enveloppe terrestre.

La vie est difficile, vraiment, car qui veut faire l’ange, fait la bête.

Dans le Credo, on ne dit pas que Jésus a vécu mais « qu'il a souffert sous Ponce Pilate ». Jamais il n'est question de vie, de plaisir ou de joie.

La vie est un immense camp de rééducation où nous devons faire nos preuves pour mettre en valeur et développer nos qualités mais le Christ nous accompagne en prenant nos péchés en son corps, il nous laisse la joie.

Je reviens de loin, du pays de l’épreuve et de la souffrance qui enferme dans une tour d’ivoire, inaccessible aux communs des mortels à part ceux qui ont une échelle assez longue pour parvenir à l’unique fenêtre du cachot et le courage de la gravir au risque de se faire rabrouer part une princesse qui ne veut pas être libérée, tant elle est terrorisée par le monde extérieur.

Mais, je suis encore « tombée » :d’abord, j’ai décidé de jeûner, ne m’autorisant que du café noir et du soda sans sucre, comment faisaient les saintes anorexiques avant l’apparition de ce breuvage exquis et acalorique ?

J’ai tenu neuf jours puis je carburais avec des tranches de citron vert.

Pour me changer les idées, j’ai fait des recherches sur Internet sur les troubles alimentaires. Ça a été pire : avec une facilité déconcertante, des moteurs de recherche m’ont guidée vers des sites sur les « troubles du comportement alimentaire » (ou TCA) : sites d’information et d’aide, j’ai participé à des forums de discussion où s’affrontent celles qui se complaisent dans leurs troubles et en font étalage, celles qui se battent, celles qui s’estiment guéries ou encore la majorité qui comme moi alternent entre tous ces états. Des liens plus cachés m’ont menées vers un monde virtuel à la fois fascinant et effrayant : les sites pro-anorexiques qui sont des sortes de sectes où les adeptes prônent l’anorexie avec ses prières (« Oh Anorexie, je te livre mon corps et mon âme, je persiste et signe devant mes sœurs de famine »), ses dogmes (aliments autorisés et surtout interdits avec photos à la clé des aliments interdits) et son catéchisme avec les règles pratiques pour manger le moins possible et le dissimuler à son entourage en se persuadant que tout va bien.

Car c’est vrai que comme Il l’a dit, la maladie n’est pas un péché :

« Ni lui, ni ses parents n’ont péché mais c’est afin que soit manifestées en lui les œuvres de Dieu », Saint-Jean, 5-3), la dissimulation qui devient comme une seconde nature dans les efforts inconscients que l’on fait pour cacher ses troubles de comportement alimentaire, le sont peut-être un peu.

Croire de rentrer dans cet enfer délibérément, comme on entre en religion n’est pas de la foi mais de la mauvaise foi qui ne dupe son monde qu’un temps.

Se persuader par des théories pseudo-scientifiques, pseudo-diététiques ou pseudo-religieuses que l’on apprécie QUE les aliments les plus légers, éviter les repas en commun au point d’éliminer tout rapport social ou les accepter en les faisant précéder ET suivre par des jeûnes compensatoires ou pire, en se purgeant aux toilettes et tout cela en se persuadant que ce n’est qu’un mode de vie « normal », une simple originalité qui fait partie de notre personnalité comme la couleur des yeux peut leurrer pendant un temps fini jusqu’à la destruction de soi à petit feu, voire la mort ou alors à un déclic comme les expériences intenses que j’ai vécues.

Le deuxième péché, c’est l’orgueil, conséquence de ces troubles qui mènent au sentiment de toute puissance. Ces sites affirment que l’anorexique est dans un « état  supérieur » par rapport aux autres mortels forcément obèses et qui s’empiffrent toute la sainte-journée sans contrôle aucun.Maîtriser son corps est une illusion suprême, c’est lui seul et nos comportements destructeurs qui nous dominent.

Toutes les tentations de Jésus au désert ne concernent que ce sentiment de toute puissance (« Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas (…) » Saint-Matthieu 4-5).

Quand on est anorexique, on ne cesse de se jeter en bas en se persuadant qu’on sait voler, créature angélique et éthérée qui tente le Seigneur en menant son corps à ses extrêmes limites jusqu’au jour où il s’écrase lamentablement et durement sur le sol bien terrestre.

« Aime et fais ce qu'il te plaît », quel joli commandement j’ai appris. Il m´a toujours paru choquant que le fait d'aimer soit un ordre. Je comprends mieux maintenant : aimer constitue un effort et un engagement tournés vers l'autre. Pour cela, il faut réussir à dominer ses propres instincts qui poussent à ne penser qu´à soi et à son propre confort. Oui, j'ai vraiment compris le sentiment de liberté qui naît du contrôle et de la discipline pour aimer. Si l'on considère chaque repas comme une eucharistie, on ne peut plus « bouffer », on rend grâce à Dieu en silence pour cette magie qui consiste pour le corps à extraire l´essence divine de la matière Je crois que les personnes qui savent jeûner de façon non mortifère, sont les seules à réaliser cet aspect divin de la nutrition.

Heureusement, il y a des épreuves qui amènent à une certaine humilité et la boulimie en est une.

Quand on se gave jusqu’à en éclater et qu’on est obligée de se coucher avec ce poids sur l’estomac et cette nausée permanente ou que quelqu’un ouvre la porte des toilettes d’un restaurant alors qu’on est à genoux devant la cuvette les doigts dans la gorge, à ce moment-là on se dit que notre « mode de vie » n’est pas si anodin que cela. La honte peut être salutaire et indispensable à la guérison.

Autre épreuve : se laisser grossir, retrouver certaines rondeurs et devoir s’habiller autre part que dans les rayons d’enfants en acceptant de laisser disparaître ses os sous une couche de graisse.

Le troisième péché serait l’adoration des fausses idoles : la maigreur, seule condition de bonheur envisageable confortée par des bibles diététiques, des régimes qu’on n’est même pas capable de suivre sans en alléger encore les recettes et la maîtrise de sa vie par un contrôle permanent de soi et de son temps qui ne laissent la place à rien d’autre et surtout à personne d’autre. Paradoxalement, si on avait une once d’estime de soi, on pourrait évoquer un égoïsme sain mais c’est au-delà : on continue parce qu’on se déteste à un point inimaginable.

Quand Jésus préconise d’aimer ses ennemis, ne serait-ce pas dans mon cas d’essayer d’aimer, du moins d’accepter ce corps que j’ai toujours considéré comme un adversaire ou un animal sauvage à dompter par la force ?

Pour Jésus, ainsi s’achèvent les tentations au désert :

« C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras et à Lui seul tu rendras un culte. Alors le diable le quitta (…) » Saint- Matthieu (4.10-11).

Pour ma part j’ai effacé de mes favoris les adresses de ces sites aussi dangereux pour tous les enfants du monde que des sites pornographiques ou pro-nazis. Faux prophètes

Une nuit, j’ai éteint  l’ordinateur et j’ai craqué : mon corps que je ne contrôlais plus, a dévoré un paquet de gaufres liégeoises et un litre de crème glacée.

Mon estomac n’étant plus habitué à tant de victuailles, tout est remonté et j’ai juste eu le temps de vomir dans la poubelle. J’ai supplié et prié jusqu’à l’épuisement et me suis enfin assoupie.

Le lendemain matin, malgré mon piètre état physique, je me suis réveillée apaisée, sereine comme si quelqu’un avait soulevé le voile des souffrances qui me tenaient lieu de linceul.

J’ai ouvert un recueil de sources de sagesse japonaise et j’ai lu un proverbe du Soleil Levant : « L’espace d’une vie est le même, qu’on le passe en chantant ou en pleurant. »

Nous étions le 6 août, jour de la Transfiguration, et j’ai décidé de vivre et plus de survivre.

J’ai mis de côté ma fierté et peu à peu, j’ai appris par instinct et en tâtonnant à me réalimenter ; d’abord uniquement par de petites quantités de légumes et de fruits puis un peu de riz et enfin certains aliments plus consistants que je m’interdisais ou que je vomissais habituellement. Le gras et les féculents étaient plus difficiles à réintroduire, cela faisait des années que je n’en avais plus consommées. Tant qu’on est dans la maîtrise parfaite, on ne se sent pas malade.

Je dois être une intermittente des troubles de comportement alimentaire, je n’ai pas assez de persistance pour porter l’étiquette d’anorexique ou de boulimique : bien sûr, j’ai maigri mais mon indice de masse corporelle n’est pas descendu sous 16, mes règles se sont arrêtées un an mais elles ont repris depuis peu et je déteste cela et surtout j’ai GROSSI jusqu’à friser le surpoids.

Ce n’est pas pour rien qu’on qualifie ces maladies de « mentales », le corps semble guéri et on le dresse comme un rempart alors que dans sa tête, on ne change pas et on garde la nostalgie de notre squelette.

Je lutte contre les Ténèbres de la dissimulation et du déni car :

« Ne craignez rien de ce qui tuent le corps mais ne peuvent pas tuer l’âme : craignez plutôt celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l’âme et le corps. » Saint Matthieu 10-28.

C’est un mal qui touche d’abord l’âme puis détruit le corps - ce qui est le plus visible - mais si le corps guérit, que faire de son âme ? Comment la sauver ?

J’ai  et décidé d’entamer sérieusement une psychothérapie avec une spécialiste des troubles du comportement alimentaire qui accepte la dimension chrétienne et mon nouveau désir de spiritualité. Etre humble, c’est aussi accepter de ne pas être parfaite et de demander de l’aide aux personnes compétentes quand ça devient trop difficile. Accepter que le chemin soit long et irrégulier, que la guérison ne se fasse pas du jour au lendemain, qu’il n’existe pas une seule et unique solution miracle.

Apprendre à discerner ce qui constitue ma personnalité intrinsèque de ce que la maladie a insufflé à mon être le plus intime : deux choses qui se confondent souvent. Réaliser qu’il existe des émotions que l’on ne contrôle pas, qu’il faut apprendre à apprivoiser autrement qu’à coups de crises de boulimie ou de petits cachets roses.

Accepter d’aller en vérité vers la Lumière et accepter la vie telle qu’elle est tout simplement, apprentissage qui peut prendre… toute une vie.

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