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  • La Théorie des cuillères de Christine Miserandino



    source : © 2003 by Christine Miserandino Butyoudontlooksick.com 


    "Ma meilleure amie et moi étions sorties dîner et nous bavardions. Selon notre habitude, il était très tard, et nous mangions des frites en sauce. Comme toutes les filles de notre âge, nous avions passé beaucoup de temps dans ce resto, pendant nos années de fac, à parler des garçons, de musique et d’autres banalités qui nous semblaient tellement importantes à cette époque-là. Nous ne prenions rien au sérieux et passions notre temps à rire.

    Comme j’allais prendre mes médicaments en mangeant, comme d’habitude, elle m’a regardée bizarrement au lieu de continuer à parler. Elle m’a demandé, à brûle-pourpoint, ce que ça faisait d’avoir un Lupus, d’être malade. Ça m’a surprise. Non seulement parce qu’elle posait cette question tout à trac, mais surtout parce que je croyais qu’elle connaissait tout sur le Lupus. Elle m’accompagnait chez le médecin, elle me voyait marcher avec une canne, elle m’avait vu vomir dans la salle de bain. Elle m’avait vu pleurer de douleur… Que savoir de plus ?

    J’ai commencé à évoquer les cachets, les maux, les douleurs, mais elle continuait à poser des questions, sans se satisfaire de mes réponses. Cela m’étonnait un peu, venant de ma colocataire de fac, mon amie depuis des années ; je pensais qu’elle connaissait déjà la définition médicale du Lupus. Alors, elle m’a regardée d’une façon que chaque malade connaît trop bien, une expression de curiosité pure sur ce qu’une personne bien portante ne peut vraiment comprendre. Sa question portait en fait, non sur mes sensations physiques, mais sur ce que signifiait, pour moi, être malade.

    Comme j’essayais de me composer une attitude sereine, j’ai regardé la table, cherchant de l’aide, un appui, ou au moins, pour prendre le temps de réfléchir. J’essayais de trouver les bons mots. Comment répondre à une question à laquelle je n’avais pas moimême de réponse ? Comment expliquer chaque détail de chaque journée affectée par la maladie? Comment rendre clairement les émotions d’une personne malade? J’aurais pu laisser tomber, et, comme d’habitude, lui servir une blague et changer de sujet, mais je me rappelle avoir pensé que si je ne tentais pas une explication, je ne pourrais jamais m’attendre à ce qu’elle comprenne. Si je ne peux pas l’expliquer à ma meilleure amie, comment pourrais-je faire comprendre mon univers à quelqu’un d’autre? Il fallait au moins que j’essaie.
    C’est à ce moment que la théorie des cuillères est née. J’ai rapidement attrapé toutes les cuillères qui se trouvaient sur la table… et aussi les cuillères des tables voisines ! Je l’ai regardée droit dans les yeux et j’ai dit : « Bon, tu as le Lupus ». Elle m’a regardée d’un drôle d’air, comme n’importe quelle personne à qui on aurait donné un bouquet de cuillères. Le métal froid des cuillères s’entrechoquait dans mes mains, alors que je les rassemblais pour les fourrer dans les siennes.

    Je lui ai expliqué que la différence entre être malade et en bonne santé consiste à devoir faire des choix ou à se préoccuper constamment de choses dont les autres n’ont pas à se soucier. Les gens en bonne santé ont le luxe d’une vie sans ces choix, un cadeau que la majorité des gens tiennent pour acquis.

    La plupart des gens, particulièrement les jeunes, commencent leur journée avec une masse de possibilités, et assez d’énergie pour faire tout ce qu’ils désirent. Pour la plupart, ils n’ont pas à se soucier des effets de leurs actions. Alors, pour mon explication, j’ai utilisé des cuillères en guise d’exemple. Je voulais quelque chose de concret, qu’elle pourrait tenir et que je pourrais lui enlever, puisque chaque personne qui tombe malade ressent une espèce de sentiment de « perte » de la vie qu’elle avait « avant ». Si je pouvais lui enlever des cuillères, alors elle pourrait connaître le sentiment de se sentir sous le contrôle de quelqu’un ou quelque chose, dans mon cas, le Lupus.

    Elle a pris les cuillères avec enthousiasme. Elle ne comprenait pas ce que je faisais, mais mon amie était toujours partante pour s’amuser. Alors je crois bien qu’elle pensait que je lui préparais une nouvelle blague, comme je le fais habituellement en parlant de choses un peu tabou. Elle ne savait pas encore à quel point j’étais sérieuse.

    Je lui ai demandé de compter ses cuillères. Elle a demandé pourquoi et je lui ai expliqué que quand on est en bonne santé, on croit posséder une réserve inépuisable de “cuillères”. Mais quand on en arrive à devoir planifier sa journée, on doit savoir exactement combien on a de “cuillères” en main au départ. Cela ne garantit pas qu’on n’en perdra pas en cours de route, mais au moins, cette donnée aide à savoir où on se situe au début de la journée. Elle a compté douze cuillères. Elle a ri et dit qu’elle en voulait davantage. J’ai dit non et j’ai su tout de suite que ce petit jeu allait fonctionner, car elle a paru déçue, alors que nous n’avions pas même commencé. Depuis des années, je veux moi aussi avoir plus de “cuillères” et je n’ai toujours pas trouvé comment, alors pourquoi lui en aurais-je donné, à elle ? Je lui ai aussi conseillé de savoir à tout moment combien elle en avait, et de ne pas les laisser tomber, car elle devait toujours se souvenir qu’elle avait le Lupus.

    Je lui ai dit de dresser la liste de toutes ses tâches de la journée, en incluant même les plus simples. Quand elle a énuméré les tâches quotidiennes, les activités de loisirs, je lui ai expliqué que chacune lui coûterait une cuillère. Alors qu’elle considérait le fait de se préparer pour aller travailler comme étant sa première étape du matin, je l’ai arrêtée et lui ai retiré une cuillère. Elle s’en est presque étouffée. J’ai précisé : « Non ! Tu ne peux pas “juste” te lever ! Tu dois faire un effort pour ouvrir les yeux et réaliser que tu es déjà en retard. Tu n’as pas bien dormi. Tu dois te sortir péniblement du lit et ensuite, tu dois manger avant de faire quoi que ce soit d’autre, parce que si tu ne manges pas, tu ne pourras pas prendre tes médicaments, et si tu ne prends pas tes médicaments, tu devras renoncer à toutes tes “cuillères” de la journée et du lendemain! »

    Je lui ai subtilisé une cuillère et elle a réalisé qu’elle ne s’était pas encore habillée. Prendre sa douche lui a coûté une autre cuillère, car elle devait se laver les cheveux et se raser les jambes. Toutes ces petites choses, pour commencer la journée, auraient facilement pu lui coûter plus d’une cuillère, mais j’ai voulu lui donner sa chance. Je ne voulais pas l’effrayer si vite. S’habiller lui a coûté une autre cuillère. Je l’ai arrêtée et j’ai décomposé toutes les autres tâches pour lui montrer qu’on doit s’attarder à chaque petit détail de la vie. On ne peut pas mettre tout simplement n’importe quel vêtement quand on est malade. Je lui ai expliqué que je dois choisir mes vêtements en fonction de mon état : si mes mains sont douloureuses aujourd’hui, je ne mettrai pas quelque chose qu’il faut boutonner. Si j’ai des ecchymoses sur les bras, je porterai des manches longues. Si j’ai de la fièvre, j’ai besoin d’un chandail pour rester au chaud, etc. Si je perds mes cheveux, je dois prendre plus de temps pour être présentable… Ensuite, je m’alloue encore 5 minutes pour m’apitoyer sur mon sort, car j’ai mis plus de deux heures pour faire tout ça.

    Je pense qu’elle commençait à comprendre, alors que, théoriquement, elle n’était même pas partie travailler et qu’il ne lui restait plus que 6 cuillères en mains. Ensuite, j’ai expliqué à mon amie qu’elle devait maintenant choisir les activités du reste de sa journée avec parcimonie, car lorsque les “cuillères” ont disparu, elles ne reviennent pas! Il arrive qu’on puisse emprunter les “cuillères” du lendemain… mais il faut envisager à quel point demain sera difficile, car il y aura encore moins de “cuillères”.

    J’ai dû aussi lui expliquer qu’une personne malade vit toujours avec la pensée que le lendemain pourrait apporter un rhume, une infection, ou d’autres choses potentiellement dangereuses pour elle. Alors, on ne veut pas être à court de “cuillères”, parce qu’on ne sait pas quand elles seront indispensables. Je ne voulais pas l’attrister, mais je me devais d’être réaliste et, malheureusement, prévoir le pire demeure une de mes tâches quotidiennes.

    Nous avons poursuivi avec le reste de la journée et elle a peu à peu appris que sauter un repas lui coûterait une “cuillère”, tout comme rester debout dans le train, ou même travailler trop longtemps à l’ordinateur sans pause. Elle a été forcée de faire des choix et de voir les choses différemment. Dans notre hypothèse, elle a dû choisir de ne pas faire de courses en rentrant du travail pour avoir la force de dîner le soir.

    Quand nous sommes arrivées à la fin de sa journée imaginaire, elle a dit qu’elle avait faim. Sommairement, je lui ai rappelé qu’il ne lui restait qu’une seule “cuillère”. Si elle cuisinait, elle n’aurait pas assez d’énergie pour récurer les casseroles. Si elle sortait au restaurant, elle pourrait être trop fatiguée pour revenir en voiture sans risques. J’ai ajouté que je n’irais pas jusqu’à inclure dans le jeu une nausée probable, que donc cuisiner était hors de question. Alors, elle a décidé de réchauffer de la soupe en boîte. C’était facile. Ensuite, je lui ai dit qu’il n’était encore que 19h… et qu’elle avait le reste de la soirée, avec sa “cuillère”, pour faire quelque chose d’agréable, ou le ménage de son appartement, ou quoi que ce soit d’autre, mais qu’elle ne pourrait pas tout faire.

    Mon amie exprime rarement ses émotions. Alors, lorsque j’ai vu à quel point elle était bouleversée, j’ai su qu’elle avait réalisé. Je ne voulais pas la troubler, mais j’étais heureuse de penser que peut-être, finalement, quelqu’un me comprenait un peu. Elle avait les larmes aux yeux quand elle m’a demandé doucement : « Christine, comment fais-tu ? Fais-tu vraiment ça tous les jours ? » J’ai expliqué que certains jours étaient pires que d’autres, et que certains jours, j’avais plus de “cuillères” que d’autres. Mais le Lupus ne disparaîtra
    jamais et je ne peux pas vivre sans y penser. Je lui ai tendu une cuillère que j’avais gardée en réserve. Je lui ai dit simplement : « J’ai appris à vivre ma vie en tentant d’avoir une “cuillère” supplémentaire dans ma poche, en réserve. Il faut toujours être prêt. »

    C’est difficile : la chose la plus dure que j’ai dû apprendre a été de ralentir et de ne pas tout faire. Je me bats contre ça depuis tout ce temps. J’ai horreur de me sentir à part, de devoir choisir de rester à la maison, ou de ne pas faire les choses que j’ai prévues. Je voulais qu’elle ressente ma frustration. Je voulais qu’elle comprenne que tout ce que font les autres est facile, mais que pour moi, chaque chose est divisée en une multitude de petites tâches à accomplir. Je dois penser à la météo, à ma température, et la journée entière doit être planifiée avant même que je puisse attaquer la moindre tâche. Alors que les autres peuvent faire les choses simplement, je dois passer à l’attaque et faire un plan, comme un stratège planifiant une guerre. C’est dans ce mode de vie qu’on voit la différence entre la maladie et la santé. C’est une chance, de faire les choses sans y penser. J’envie cette liberté. Cela me coûte d’être toujours à compter mes “cuillères”.

    Ensuite, nous avons parlé de nos émotions et nous avons discuté encore un peu. J’ai senti qu’elle était triste. Avait-elle vraiment compris ? Avait-elle réalisé qu’elle ne pourrait jamais dire honnêtement qu’elle comprenait vraiment ? Au moins désormais, j’ai pensé qu’elle ne se plaindrait plus lorsque je ne pourrais pas sortir le soir, ou parce que je ne vais jamais chez elle et qu’elle doit toujours venir chez moi. Je l’ai serrée dans les bras et nous sommes sorties du restaurant. Il me restait la cuillère en main et je lui ai dit : « Ne t’en fais pas. Je vois ceci comme une bénédiction. Je suis forcée de penser à tout ce que je fais. Sais-tu combien de “cuillères” les gens gaspillent chaque jour ? Dans ma vie, il n’y a pas de place pour du temps perdu, pour des “cuillères” gaspillées, et j’ai choisi de passer ce temps avec toi. »

    Depuis cette soirée, j’ai utilisé la « Théorie des cuillères » pour expliquer ma vie à plusieurs personnes. En fait, ma famille et mes amis se réfèrent toujours aux cuillères. C’est devenu un code entre nous pour ce que je peux et ce que je ne peux pas faire. Dès que les gens comprennent la « Théorie des cuillères », ils semblent me comprendre un peu mieux et je crois qu’ils vivent également leur propre vie un peu différemment. Je crois que cette explication est utile pour comprendre le Lupus, mais également pour comprendre tous ceux qui vivent avec un handicap ou une maladie. J’espère que les gens ne considèrent plus leur vie comme un dû. Je donne un peu de moi, dans tous les sens du terme, quand je fais quelque chose. C’est devenu une plaisanterie avec mes proches. Tout le monde le sait maintenant : lorsque je passe du temps avec quelqu’un, je lui dis qu’il a le privilège d’avoir une de mes “cuillères”. "




    © 2003 by Christine Miserandino Butyoudontlooksick.com

  • Mon parcours jusqu’au Beit Haverim et au groupe de développement personnel

    "Je n'ai pas l'honneur d'être juive et je le regrette.
    La judéité est peut-être aujourd'hui la dernière forme d'aristocratie en laquelle on puisse croire.
    J'appartiens moi même à une famille aristocratique : je suis donc bien placée pour savoir que  cela ne signifie rien.
    Être juif, signifie beaucoup de choses.
    Il y a une noblesse de l'esprit en éveil, qui s'obtient par des siècles de peur, de foi, de courage, d'intranquillité.
    Cette façon d'être noble appartient aux juifs plus qu'à tous les autres.
    Je la salue et la remercie d'exister."
    Amélie Nothomb

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  • L'Ile de la résurrection

     

    "C'est un beau jour pour mourir"

    C'est une phrase que nous connaissons tous, tirée d'un film, d'un proverbe amérindien ou les deux, qu'importe...

    En 2005, l'année de mes  33 ans, je demeure là, sonnée, la tête en bas avec une sensation de vertige au bas du volcan Snaeffelsjokull.

    Après trois tonneaux, la ceinture de sécurité me maintient comme crucifiée et compriment les os de mes hanches.

    A mes cotés, à la place qu'on qualifie du mort, se trouve mon ami d'enfance Jean-Luc, heureusement bien vivant malgré qu'il ait percuté la tête contre le parebrise.

    Silence. "Nadia, ca va ?" "Oui, nous sommes vivants, on dirait".

    Je décroche la ceinture et mon corps retrouve sa gravité naturelle, puis pousse la portière conducteur qui résiste contre la mousse ancestrale.

    Un interstice suffisant me permet de me faufiler dehors et de dégager la portière de Jean qui retrouve la position verticale.

    Je n'ai qu'une égratignure à la main, Jean-Luc, qui n'avait pas bouclé sa ceinture s'en tire avec une bosse mais ne semble pas blessé.

    Nous sommes seuls comme on peut être seul sur la lune.

    L'astre solaire est à son apogée, je ne me souviens plus de l'heure ; la luminosité ne cesse jamais au mois de juin au pays des Vikings.

    Au loin, un paysage plat à perte de vue, sans arbre et au loin cette montagne magique qui fascinait déjà Jules Verne qui la considérait comme une porte menant au centre de la terre mais également comme le centre cosmique de l'univers pour les bouddhistes

    Plus tard, j'ai pu lire une interview d'un auteur Français Jean-Michel Roux qui comparait la puissance spirituelle protectrice de ce volcan/glacier au Mont Bugarach.

    Ainsi j'appris que c'est le seul volcan d'Islande qui d'après une saga du XIVème siècle, était la demeure d'un dieu Bardur, un des premiers colons vikings qui vécut au IXème siècle. A sa mort, il se réfugiât dans la montagne pour devenir son esprit protecteur.

    Beaucoup d'islandais, peuple passionné par l'invisible prétendent communiquer et voyager avec Bardur.

    A l'époque, il existait encore des parcelles de la route n°1 qui fait le tour de toutes les côtes islandaises inachevées et parsemées de gravier.

    Quelques mètres avant la fin de l'asphalte, nous avions loupé le panneau indiquant le changement, car préoccupés par un crachin de pluie soudain, quoique habituel sur cette ile, nos quatre yeux restèrent rivés sur le tableau de bord à chercher comment mettre en marche les essuies glace.

    Le ciel pleurait quand même à 60 km/heure, les graviers se transformèrent en patinoire et mes poings n'ont pu retenir le volant. Puis le manège improvisé du véhicule, tantôt sur les roues, tantôt sur le toit.

    Pendant ces quelques secondes, la seule pensée qui me vint, fut "Seigneur, faites que même si je meurs, je ne tue pas Jean-Luc."

    Je fus exaucée.

     

    Ainsi, nous sommes seuls à coté de notre voiture détruite. Toutes les courses alimentaires que nous venions d'acheter au supermarché Bonus, ainsi que nos affaires personnelles ont jailli du coffre pour se disséminer à plusieurs mètres du véhicule.

    Aucune trace de vie humaine visible à l'horizon, pendant un temps qui nous semblait sans fin.

    Jean-Luc, de rage, donnait des coups de pieds à l'épave.

    Cela fit arriver un véhicule à l'horizon, que nous attendions comme un marin échoué en mer. Un couple d'américains vint à notre rencontre, s'inquiétant de notre santé  et appelant les secours.

    La police fut rapidement sur les lieux, amassant nos affaires dans de gros sacs poubelles noirs : "You are very lucky".

    Nous nous retrouvâmes dans un hôtel confortable avec petit déjeuner inclus dans la "ville" la plus proche Olafsvik.

    Il faut savoir ce que signifie "ville" au pays des elfes ; 70% des habitants de l'ile vivant à Reykjavik, les "villes" comportent juste le strict nécessaire : une station service  faisant office de snack/restaurant, une banque et une église.

    La banque se situait juste en fac de la fenêtre de notre chambre et ce détail a son importance.

    Ainsi que la présence à proximité de l'office de location où nous attendait une voiture flambant neuve, à condition de payer la forte somme de franchise après notre accident.

    La proximité de la banque me semblait une chance : tout allait se régler rapidement après avoir retiré la somme demandé, nous convînmes je m'en chargerais et que Jean-Luc me rembourserait au retour.

    Cependant, j'avais occulté que ma carte bancaire à débit limité ne me permettait pas de retirer autant d'argent en si peu de temps, d'autant que l'argent liquide dont nous disposions encore suffisait juste à payer les nuitées d'hôtel.

    Je me chargeais de négocier avec mon anglais approximatif avec une employée de la banque très compatissante qui me permit de contacter ma conseillère bancaire à Paris.

    La pression montait entre moi et mon ami Jean-Luc qui tournait en rond en fumant dans la chambre, envisageant les possibilités les plus catastrophiques : quitter en douce le pays, être arrêtés à la frontière et terminer en prison.

    "Les islandais ne rigolent pas avec ça."

    Nous étions aussi fauchés que les arbres de l'ile, nous nourrissant du petit déjeuner inclus et dissimulant quelques brioches pour tenir la journée.

    Il y eut un premier jour, un second puis un troisième. La vision constante de la banque devenait un cauchemar.

    Le dernier jour, pour nous changer les idées ou trouver le salut miraculeux à notre cauchemar, nous eûmes envie de visiter l'église aux trois clochers de Olafsvik à 200 mètres de l'hôtel.

    L'atmosphère était étrange, sous le ciel noir, des oiseaux dont j'ignorais le nom, tournoyaient en poussant des cris de guerre et fonçaient sur nos têtes en perdant en altitude, comme dans le film "Les oiseaux" d'Hitchcock, qui, enfant me terrorisait.

    Nous courûmes la petite distance pour nous réfugier dans l'église qui était ouverte.

    Je n'ai jamais compris la raison de cette rage, peut-être le béret que je portais et qui pouvait de haut, ressembler à un œuf.

    En état de choc après l'accident, épuisée par ces jours de négociation sans espoir d'issue, je me sentais dans un état second, coupée de la réalité et ne pouvant plus réfléchir.

    Jean-Luc eut l'excellente idée pour évacuer ce stress post-traumatique de prendre le volant de notre nouvelle voiture pour rejoindre la côte et le ferry qui nous menait à l'ïle de Flatey où nous passâmes deux jours.

    Cette minuscule île sur la péninsule de Snaefellness n'excède pas deux kilomètres de long pour 1km de large, l'idéal pour se sentir en sécurité comme dans un cocon protecteur.

    Nous fumes hébergée par une femme d'une maison d'hôtes qui y vivait seule avec son fils d'environ 5 ans.

    Notre peu de maîtrise de l'anglais alliée à la sienne, nous plongeait dans un silence méditatif.

    Soudain, le petit garçon sortit un jeu de société que nous aimions particulièrement Jean-Luc et moi et qui ne nécessitait pas de parler : le jeu des petits chevaux.

    Quand mon dernier cheval bleu atteignit l'écurie, j'ai su que nous étions sauvés car vivants.

    Lors de mon dernier voyage sur l'ile magique onze années plus tard avec un groupe d'amis, j'ai refusé de prendre le volant ; je crois qu'il ne faut pas trop titiller Bardur pour une autre résurrection.

    Texte écrit en avril 2017